Dans le cadre de la mise en place de l'HACCP dans une entreprise, Il y a une étape préliminaire, qui n'est pas reprise dans le document "officiel" du Codex. Il s'agit de l'engagement de la direction. J'ai repris cette idée de l'approche ISO 9001, car la mise en place de l'HACCP est à la fois longue, fastidieuse, et frustrante : 90 fois sur 100, les points critiques identifiés sont déjà connus, et surveillés. On a donc une tendance à considérer que l'exercice est inutile - ce qui n'est bien sûr pas le cas! Il est alors utile, voire indispensable, que la Direction Générale non seulement donne les moyens à l'équipe HACCP pour travailler, mais insiste de surcroît sur l'indispensable participation de chacun.
1ère étape : Constituer l'équipe HACCP
Équipe multidisciplinaire; constituée d'experts et de techniciens spécialisés dans le produit, et dans le procédé de fabrication, animée par un spécialiste de la méthode HACCP.
La première tâche de l'équipe est de définir la portée de l'étude (faut-il faire un plan HACCP pour chaque produit, ou bien peut-on regrouper certains produits dont le procédé de fabrication et/ou les ingrédients sont proches?).
2ème étape : Décrire le produit
Il faut regrouper toutes les informations qui seront utiles ensuite :
- Structure physique, chimique (Aw, pH ...)
- Traitements bactériostatiques
- Emballage
- Stockage
- Conservation, DDM (Date de Durabilité Minimale, qui a remplaçé la DLUO ou date limite d'utilisation optimale, déterminée sous la seule responsabilité du fabricant, et qui peut être dépassée par le consommateur sans qu'il n'en résulte de dommages autres qu'un aspect ou un goût dégradés) ou DLC (Date Limite de Consommation, obligatoire pour tous les produits d'origine animale, et qu'on ne doit jamais dépasser ; la DLC est contrôlée par les Services Vétérinaires).
En fonction de la portée de l'étude (définie lors de la première étape), on décrira ainsi de un à plusieurs dizaines de produits...
3ème étape : Déterminer son utilisation prévue
L'usage doit être défini en fonction du consommateur, et il faut essayer d'imaginer les occasions dans lesquelles l'aliment sera consommé d'une manière qui n'est pas celle recommandée par le fabricant. Un exemple typique est la consommation de knackis : le mode d'emploi prévoit de plonger le sachet dix minutes dans l'eau frémissante. Mais il arrive fréquemment que l'on utilise les knackis dès leur sortie du réfrigérateur, pour les incorporer dans une salade de pommes de terres. Alors, l'industriel ne doit pas compter sur le passage dans l'eau frémissante pour garantir la qualité microbiologique de son produit!
Lors de cette étape, on identifie également les groupes vulnérables de population (nourrissons, personnes âgées entre autres).
4ème étape : Établir un diagramme de fabrication
Toute l'équipe HACCP doit s'impliquer, mais ce sont les experts du procédé qui seront les plus sollicités. On découpe toute la fabrication en étapes élémentaires, à partir de la réception des matières premières, jusqu'au stockage et à l'expédition des produits finis.
Le diagramme obtenu est un document essentiel du plan HACCP.
5ème étape : Confirmer sur place le diagramme des opérations
Une fois le diagramme établi (4ème étape), on se rend sur la ligne, dans les ateliers pour vérifier l'exactitude de ce diagramme "théorique". On identifie toujours des écarts (dans la pratique du personnel, ou dans les machines), mais surtout on peut mettre en évidence certains facteurs qui ne se voient que sur place. Par exemple, la mise en portions individuelles qui se fait sur une table où l'on épluche des légumes : le danger de contamination "croisée" n'est évident que dans l'atelier.
Il est donc important de comprendre et de corriger les écarts. Les dangers et les mesures de maîtrise sont identifiés par rapport à ce document.
6ème étape : Énumérer tous les dangers potentiels; effectuer une analyse des risques; définir les mesures de maîtrise
A chaque étape de process, on liste tous les dangers potentiels. On peut avoir recours à des techniques de créativité du genre "brainstorming", ou faire parler les opérateurs en charge de l'étape en question. Se promener dans l'atelier, le nez en l'air, peut s'avérer très instructif : on voit alors les tuyaux sales, les éclairages non protégés, les anciens morceaux de fil de fer ou de ruban adhésif (qui amènent un risque de contamination physique du produit). Regarder par terre n'est pas moins utile: on voit les siphons de sol mal placés et les imperfections des sols (difficiles à nettoyer).
Au bout du compte, on se retrouve souvent avec un grand nombre de dangers potentiels, plus ou moins réalistes. Il faut alors trier, classer ces dangers, pour se focaliser sur les plus importants. Pour cela je recommande le système suivant : on attribue une note (1, 3 ou 5) à trois critères :
critère |
niveau |
exemple |
Gravité |
1 : peu important, la santé du consommateur n'est pas affectée |
une mite cuite dans un biscuit |
3 : moyennement important, la santé du consommateur pourrait être affectée, mais pas dans les conditions "normales" de consommation |
du Cadmium dans des rognons de veau : il faudrait en consommer beaucoup et longtemps pour que des effets néfastes apparaissent (*) |
5 : important, conséquences définitives pour le consommateur (blessure, maladie, décès) |
un caillou dans de la glace au nougat, E. coli O157:H7 dans un steak haché, des Salmonelles dans du lait en poudre |
Probabilité d'apparition |
1 : très faible, évènement improbable |
bien que théoriquement possible, la perte de maîtrise n'a jamais été constatée. |
3 : moyenne, évènement possible dans les conditions normales d'exploitation |
se produit une ou deux fois par an |
5 : élevée, on sait que l'évènement se produit |
on le constate une fois par trimestre ou plus souvent |
Probabilité de détection |
1 : très élevée, l'évènement est toujours détecté |
boîte de conserve non sertie dans une installation où elle va être retournée |
3 : moyenne, l'évènement peut passer inaperçu |
le contrôle est sous la responsabilité d'un opérateur - qui peut tourner la tête pour de nombreuses (bonnes) raisons |
5 : très faible, si l'évènement se produit, on ne pourra pas le détecter avant que le produit ne soit mis sur le marché |
E. coli O157:H7 dans une mêlée de steak haché |
N.B. Les valeurs 1, 3 et 5 choisies ici sont arbitraires. C'est le groupe de travail qui doit décider du nombre de barreaux sur l'échelle, et de leurs valeurs. Si je prends des échelles à trois barreaux, c'est par souci de simplification. Mais on peut fort bien imaginer 4, 5, ou même 10 barreaux. Simplement, les discussions risquent d'être plus longues ! Quoi qu'il en soit, vous devrez définir précisément les critères associés à chacune des notes.
(*) Attention, cet exemple n'est valable que pour un restaurateur qui achète un jour des rognons de veau - qui se retrouvent contaminés. Si vous êtes un producteur de rognons de veau, la présence régulière de Cadmium dans vos produits présente un niveau de gravité élevé.
L'importance se calcule alors comme le produit des trois critères :
Importance = gravité × apparition × détection
La note ainsi obtenue varie donc de 1 (1 × 1 × 1 : évènement rare, aux conséquences bénignes et toujours détecté) à 125 (5 × 5 × 5 : évènement fréquent, aux conséquences critiques pour le consommateur, et passant toujours inaperçu), en 10 modalités, ce qui est suffisamment discriminant pour faire ressortir les dangers sérieux à chaque étape.
A présent que les dangers sont identifiés, il faut leur associer une mesure préventive : si par exemple le danger identifié est la survie des micro-organismes pathogènes, alors la mesure préventive associée sera une cuisson ou une pasteurisation.
7ème étape : Déterminer les points critiques pour la maîtrise (CCP)
Parmi les étapes du procédé de fabrication auxquelles sont associées un danger, toutes ne sont pas critiques pour la maîtrise. Pour identifier de manière certaine lesquelles sont des "
Points Critiques pour la Maîtrise", ou
CCP, il faut utiliser un arbre de décision. Le document du Codex prévoit 4 questions successives ; l'arbre que j'utilise en compte une de plus, question initiale notée ici Q0:

Si on identifie un danger sans pouvoir y associer une mesure de maîtrise (CCP ou PRPO), alors il faut mettre en cause le procédé de fabrication.
8ème étape : Fixer les seuils critiques pour chaque CCP
Une fois que les CCP sont clairement identifiés, il faut pouvoir garantir l'efficacité de la mesure préventive que l'on a définie. Pour cela, on fixe des valeurs-seuil, ou "seuils critiques". Pour prendre un exemple, si le CCP est la pasteurisation d'un produit liquide en vrac, les seuils critiques correspondant à une pasteurisation efficace seront un couple temps-température, par exemple 105°C - 32". Pour un détecteur de métaux, le seuil critique sera une détection, etc.
Chaque fois que possible, on validera les seuils retenus : ceci est particulièrement important pour les traitements de stérilisation ou de pasteurisation.
Ces seuils serviront au pilotage de l'installation par les opérateurs : un dépassement (dans un sens ou dans l'autre) de ces seuils critiques signifiera la perte de maîtrise.
9ème étape : Mettre en place un système de surveillance pour chaque CCP
On vient de voir que les seuils critiques servent au pilotage : il faut donc mettre en place un système qui va scruter les paramètres pour déceler un dépassement du seuil critique. On privilégiera les mesures rapides, voire instantanées.
Pour notre surveillance de la pasteurisation,
- le suivi de la température se fera au moyen d'un thermomètre, c'est à dire aujourd'hui avec une sonde à affichage digital, éventuellement couplée à une alarme sonore.
- Mais pour mesurer la durée de traitement, il n'est pas possible de compter sur sa montre : on doit surveiller un liquide circulant dans des tuyauteries et dans un échangeur de chaleur. La durée de traitement étant directement proportionnelle au débit du liquide,
on va alors surveiller un débitmètre. Et si on n'en dispose pas, on établira un abaque reliant un paramètre mesurable en continu (vitesse de rotation d'une pompe, ou même intensité du courant électrique passant dans le moteur de la pompe), pour pouvoir facilement estimer la durée du traitement thermique.
10ème étape : Prendre des mesures correctives
On l'a vu dans
l'exposé des principes, les mesures correctives sont des actions immédiates prises par le conducteur de la machine, l'opérateur, le cuisinier... qui constate la perte de maîtrise du CCP. Il faut alors avoir prévu les actions à engager immédiatement :
- action sur le procédé (réglages ...)
- action sur le produit en cours de fabrication (isolement du lot, reprocess immédiat, augmentation de la durée de traitement...)
Idéalement, on prévoit les actions de l'opérateur dès l'apparition d'une tendance dans le paramètre surveillé - ceci pour éviter autant que faire se peut d'avoir à bloquer ou à détruire des lots de produits finis.
11ème étape : Appliquer des procédures de vérification
Le but poursuivi ici est de déterminer l'efficacité du système :
- On procèdera à un audit des pratiques, pour s'assurer que les protocoles sont connus et suivis.
- De même, on conduira un audit des enregistrements : sont-ils convenablement conservés ? les possède-t-on tous ? Ce sera spécialement vrai pour les enregistrements des paramètres critiques des CCP.
- On pourra analyser quelques échantillons de produits finis, pour s'assurer que leur niveau de contamination microbiologique est bien compatible avec l'exigence de salubrité.
- On se penchera sur le devenir des produits qui ont été jugés non-conformes en raison de la perte de maîtrise d'un CCP : ont-ils été contrôlés ? ont-ils été détruits ? reprocessés ? Ces opérations ont-elles respecté les règles prévues?
- On vérifiera que les modifications de process, de recette, de fournisseurs,... ont bien été prises en compte, et que les plans HACCP correspondants ont été modifiés en conséquence.
12ème étape : Constituer des dossiers et tenir des registres
Il s'agit de pouvoir prouver que les dispositions prévues par le plan HACCP sont bien valides, et respectées. Ces preuves sont en particulier demandées par certains clients, et exigées par les administrations (Services Vétérinaires et Répression des Fraudes en particulier).
Ces enregistrements fourniront aussi, le moment venu, quantité de données utiles pour valider ou améliorer un procédé de fabrication.