Remarque préliminaire
- Les principes énoncés ici sont valables pour tous les types d'indicateurs : qualité, sécurité, environnement. Si j'insiste sur le côté "qualité", c'est par déformation professionnelle... Le lecteur choisira l'adjectif qui lui convient le mieux.
Constat : trop souvent, les indicateurs ne sont pas pertinents
Depuis que les entreprises sont certifiées ISO 9001, on voit fleurir sur les murs des panneaux d'affichage avec des graphiques intitulés "indicateurs qualité" ou bien "indicateurs sécurité" ou encore "indicateurs QSE".
Ces graphes ne sont pas toujours à jour. Ils paraissent même de temps à autre très anciens. Et ils sont souvent très obscurs pour les visiteurs :
- On y confond facilement les notions complémentaires que sont l'indicateur, la mesure, l'objectif ;
- Les représentations graphiques se limitent souvent à des camemberts. Mais ceux-ci ne peuvent pas donner de dynamique. Or, seule la prise en compte d'une dynamique permet d'estimer la réalité de l'amélioration continue, et permet de retrouver la date de début d'un problème ;
- Les graphiques sont bien souvent illisibles parce qu'il manque l'échelle, ou la date, ou l'objectif.
- Certains indicateurs "qualité" ne sont que des indicateurs d'activité, qui comptent des quantités (nombre de camions chargés dans une journée, ou nombre de factures émises), ou reflètant le fonctionnement d'une machine, quand ce ne sont pas des indicateurs purement commerciaux, ou d'efficacité économique.
- Si l'on trouve des indicateurs là où on mesure le fonctionnement des processus, de larges zones d'activité de l'entreprise ne sont pas couvertes. Les tableaux de bord qualité sont alors parcellaires.
- Enfin, on voit même des tableaux de bords avec des dizaines de défauts suivis, mais qui se limitent à l'aspect "cosmétique". La qualité intrinsèque du produit semble totalement délaissée ...
- Malgré tout, ces indicateurs sont utilisés comme supports de communication, comme supports d'information et m&ecicr;me parfois pour prendre des décisions ...
- Ce dossier présente :
Mais que demande l'ISO 9001 ?
- La Norme ISO 9001:2015 n'exige pas explicitement la création de tableau de bord qualité. Elle ne demande pas non plus la gestion d'indicateurs ou de graphiques reprenant ces indicateurs (pas plus d'ailleurs que les versions précédentes). En revanche, la Norme demande :
- 4.4 Système de management de la qualité et ses processus, 4.4.1 L'organisme doit (...) c) déterminer et appliquer les critères et les méthodes (y compris la surveillance, les mesures et les indicateurs de performance associés) nécessaires pour assurer le fonctionnement et la maîtrise efficaces de ces processus;
- 6.2 Objectifs qualité et planification des actions pour les atteindre. Les objectifs qualité doivent: (...) b) être mesurables; (...) e) être surveillés;
- 9.1.1 Surveillance, mesure, analyse et évaluation. L'organisme doit déterminer :
- ce qu'il est nécessaire de surveiller et mesurer;
- les méthodes de surveillance, de mesure, d'analyse et d'évaluation nécessaires pour assurer la validité des résultats;
- quand la surveillance et la mesure doivent être effectuées; et
- quand les résultats de la surveillance et de la mesure doivent être analysés et évalués.
L'organisme doit évaluer la performance ainsi que l'efficacité du système de management de la qualité.
Il doit conserver des informations documentées pertinentes comme preuves des résultats.
- On doit donc bien identifier les informations pertinentes pour piloter et améliorer les processus. L'indicateur, c'est l'information - que l'on va comparer à une valeur-cible (l'objectif). Et selon que la valeur prise par le critère mesuré sera au-delà ou en-deçà de l'objectif, on prendra telle ou telle mesure corrective. Le pilotage n'est rien d'autre que ça.
D'ailleurs, lorsque vous conduisez un véhicule, vous prenez en permanence des informations (état de la route, comportement des autres véhicules, panneaux indicateurs, réserve de carburant, heure, etc.). Et vous adaptez votre conduite (vous "pilotez") non seulement en fonction de ces informations, mais aussi en fonction de vos objectifs propres (arriver avant telle heure, ou voyager en consommant le moins possible de carburant par exemple).
Le management
- Le pilote de processus a comme fonction de modifier les réglages du système. Aussi longtemps que les réglages permettent d'atteindre le but, on ne change rien. En revanche, dès que le pilote est informé que le système ne fonctionne plus comme prévu, que l'on s'éloigne de l'objectif, alors il doit modifier le réglage.
- Une bonne partie des informations, c'est-à-dire des données qui permettent de prendre des décisions de pilotage, seront fournies par les indicateurs. Bien entendu, il y aura d'autres sources : les évènements qui vont survenir et modifier le contexte seront aussi des déclencheurs d'actions. Et bien entendu, les décisions stratégiques imposent de changer beaucoup de choses.
- Les tableaux de bord, qui regroupent une sélection d'indicateurs, doivent être très soigneusement définis si la direction souhaite
Indicateurs de pilotage et de résultat
- L'exemple ci-dessus montre bien la différence entre l'indicateur de pilotage (vitesse instantanée, déviation, pluie...) qui engage une action immédiate, et l'indicateur de résultat (arrivée à l'heure) qui engendrera la satisfaction du client.
- Imaginons une entreprise de transport routier. On pourrait suivre le taux de livraison à l'heure : c'est un indicateur de résultat. D'autres indicateurs de résultat seraient par exemple le nombre de retards dépassant une certaine durée ou encore le tonnage ou la valeur des livraisons retardées. On pourrait également ne suivre que les livraisons vers une certaine catégorie de clients, etc.
- Mais on pourrait aussi suivre le nombre de passage au tribunal pour excès de vitesse par chauffeur et par an. C'est un indicateur de pilotage (mais c'est un indicateur biaisé puisque si le passage devant un tribunal est bien la preuve du dépassement de la vitesse autorisée, le fait de ne pas être convoqué prouve seulement que le chauffeur ne s'est pas fait prendre par le radar. Peut-être qu'il ne s'est pas fait prendre parce qu'il ne dépasse jamais les limites, ou alors parce qu'il a beaucoup de chance).
- Une fois que l'on peut mesurer le résultat, on peut souvent oublier les indicateurs de pilotage...
Indicateurs de performance et de pilotage
- C'est sous ces deux noms là (pilotage et performance) que certains des visiteurs de ce site posent la question. Et je dois avouer que je ne suis pas du tout à l'aise pour vous répondre ! Je ne sais pas ce que vous appelez performance...
Si on fait référence à un résultat très bon, voire exceptionnel (le mot est ici utilisé dans son acception sportive), alors la performance n'est que le résultat. Et donc il faut opposer "résultat" et "pilotage", ce que je fais ci-dessus.
Mais si vous pensiez à la performance de l'acteur, on est à mi-chemin entre le résultat obtenu (le succès et les applaudissements) et la manière d'y arriver. Or la manière d'arriver au résultat, c'est plus ou moins du pilotage. Et je ne peux pas opposer pilotage à pilotage.
Pour ces raisons, je ne parle pas de performance mais de résultat.
- La version 2015 de l'ISO 9001 intègre de nombreuses définitions, parmi lesquelles on trouve "indicateur de performance" : caractéristique ayant un impact significatif sur le résultat du processus et la satisfaction client (la définition ici est une interprétation de ma part, copyright oblige). On est donc dans l'acception "indicateur de résultat", ce qui me convient parfaitement.
Indicateurs qualité et d'activité
- C'est une autre source de confusion, qui provient généralement de ce que l'on veut à toute force que chacun dans l'entreprise suive des "indicateurs ISO". Ce terme est très incorrect, mais on l'entend parfois. Alors les managers à qui l'on demande "un indicateur", sans avoir au préalable introduit les notions de processus et de pilotage, baptisent "indicateur qualité" un indicateur qu'ils suivent déjà. Or dans ce cas, ce sont bien souvent des indicateurs d'activité :
- pour un responsable d'entrepôt : nombre de palettes manutentionnées chaque jour
- pour un responsable de production : nombre de pièces produites par machine, ou par poste
- pour un responsable commercial : nombre de clients contactés par semaine
- pour un responsable de laboratoire de contrôle : nombre d'analyses réalisées par semaine
- etc.
- Si les indicateurs ci-dessus sont utiles pour mesurer l'activité des services, ils n'en sont pas pour autant des indicateurs qualité. Ils n'apportent en effet aucune information quant à la satisfaction du client ou à l'efficacité du processus suivi. Si l'on s'intéresse à la mesure de la qualité, il est possible de suivre :
- pour un responsable d'entrepôt : ratio heures travaillées par commande expédiée, ou volume stocké hors de l'entrepôt (couloirs, parking ...)
- pour un responsable de production : ratio production réalisée sur production planifiée, ou % de production défectueuse
- pour un responsable commercial : nombre de rendez-vous repoussés par semaine, ou taux de réussite des offres
- pour un responsable de laboratoire de contrôle : délai moyen de remise des résultats, ou volume d'effluents polluants générés (solvants, métaux, etc.)
- etc.
- Bien entendu, il est possible de trouver des indicateurs qualité pour tous les départements de l'entreprise. Mais il n'est pas possible d'en donner une liste-type. En effet, les indicateurs doivent servir au pilotage, et sont donc intimement liés aux objectifs assignés par la direction, eux-même étant liés à l'environnement dans lequel évolue l'entreprise, à ses problématiques particulières, etc.
Un peu de créativité ne peut pas faire de mal...
- Dernier point conçernant la présentation graphique des indicateurs : elle est trop souvent peu réfléchie, son importance étant sous-estimée.
- S'il vrai que la véractité des valeurs affichées est primordiale, on ne doit pas négliger l'aspect "support de communication". Or, la communication ne passera pas si les graphiques sont peu attrayants, difficiles à lire.
Ceci peut être le cas :
- quand il n'y a pas d'échelle sur le graphe;
- quand il n'y a pas de repère temporel (date, période);
- quand on ne voit pas l'objectif associé (ou au moins un élément de comparaison avec un résultat passé);
- quand il n'y a pas de référence au produit, à l'atelier, à ce qui introduit une variabilité dans les résultats;
- quand il y a trop d'informations sur le méme graphique;
- quand on ne peut pas voir la dynamique des résultats (est-ce que la performance s'améliore, ou est-ce qu'elle se dégrade ?).
- Et même lorsque le graphique répond à toutes les exigences ci-dessus, on peut faire un effort de créativité. On peut alors sortir (au moins pour certains graphes) des classiques diagrammes en points ou en barres que nos tableurs nous proposent de manière presque automatique. Je vous propose ainsi :
- des graphiques en "vu-mètres", que l'on peut faire avec un tableur (il suffit de colorier des cases, de rajouter une ou deux formes automatiques (flèche, rectangle très étiré verticalement) :

- Des graphiques en forme de cadran automobile :

- Des graphiques en forme de radar (ou de toile d'araignée). On représente sur 5, 6, 7 ... axes les cinq, six, sept ... principaux indicateurs qualité. On compare ainsi très aisément une performance à un objectif, ou encore la performance de deux sites de production comme sur l'exemple ci-dessous :

J'ai vu en Angleterre un diagramme de ce type avec 20 ou 25 axes (!). D'une hauteur de plus de 3 mètres de haut, il était affiché sur le mur du hall d'entrée de l'usine. Le responsable qualité montait sur un escabeau pour faire la mise à jour mensuelle des résultats.
Les tableurs (Calc de LibreOffice / Open Office, ou Excel ®) permettent facilement de créer ces graphiques. Il y a néanmoins une limitation de taille : il faut absolument que les axes soient identiques. Si par exemple une de vos grandeurs va de 1 à 100, et une autre de 1 à 5, ce dernier axe sera absolument illisible. Il vous faudra alors retravailler ce graphique sur un logiciel de dessin vectoriel, comme Draw de Open Office, ou Visio ® de Microsoft ®.
Même le tableur Excel ® peut être utilisé pour créer des graphiques un peu originaux, comme les feux tricolores ci-contre (non, ils ne sont pas dans les graphiques de base, et oui, il faut faire preuve d'un peu d'imagination. Mais ce n'est pas difficile !).
Excel ® permet d'ailleurs de faire beaucoup de choses, et les graphiques boursiers, par exemple, peuvent être détournés pour véhiculer des messages statistiques au lieu de "mini, maxi, clôture", pourquoi ne pas mettre si on le souhaite "résultat mini, maxi, moyenne" ?
Le graphique ci-dessous montre la richesse de l'information véhiculée par un graphique de type "boursier" : ici, le nombre moyen de réclamations enregistrées chaque jour est passé de 50 à une vingtaine en dix-huit mois, mais l'amplitude est forte : on peut encore en avoir jusqu'à 60 dans la même journée. En fonction de l'objectif de délai de traitement, le pilote peut ensuite dimensionner les moyens à allouer à l'enregistrement ou au traitement de ces réclamations.

- En travaillant un peu (beaucoup ...) on arrive même à des tableaux de bord assez originaux (j'ai surchargé l'image ci-dessous, je peux vous aider à réaliser des choses de ce genre, mais je n'aimerais pas que cette image se retrouve dans les documents de mes confrères – je n'ai pas écrit "concurrents") :

Un peu de publicité...
Je fais partie des auteurs de l'ouvrage à mises à jour "indicateurs et tableaux de bord" publié par l'AFNOR (mais qui est indisponible aujourd'hui).
Les trois chapitres que j'ai écrits à ce jour sont des tutoriels montrant comment utiliser les logiciels Microsoft ® Visio ® ou Excel ® pour créer des graphiques qui sortiront de l'ordinaire - et qui auront donc un peu plus de force pour communiquer sur les résultats.
Pour aller plus loin
- Les anglophones trouveront du profit à visiter le site Internet du Réseau Canadien d'Indicateurs de Durabilité, un portail canadien fédérant les professionnels du Développement Durable. Leur page de ressources n'est qu'en anglais mais vous y trouverez conseils, liens, outils tournés vers la construction d'indicateurs.
- À cet égard, le guide de l'OCDE pour la construction d'indicateurs composites est un document fort intéressant.
- l'UNECE (La Commission Économique pour l'Europe de l'Organisation des Nations Unies) publie deux ouvrages fort intéressants intitulés Making Data Meaningful (donner du sens aux données) :
Ils sont écrits en anglais, mais même les non-anglophones comprendront les images !
- Enfin, le site Internet GapMinder.org présente des statistiques sous une forme extrêmement créative. À visiter absolument !