Dernière modification : 25.07.2023
Petit rappel
- L'approche processus est un des 7 principes du management de la qualité. C'est probablement le moins bien compris, alors que c'est certainement le plus utile pour améliorer l'efficacité des entreprises. Ce fut la principale innovation apportée par la version 2000 de l'ISO 9001. Mais malheureusement, le management ne s'est pas assez impliqué, et a laissé au responsable qualité le soin de se débrouiller avec cette nouvelle exigence (sans toujours former le responsable en question). Le résultat n'est pas toujours brillant.
- Ce que j'écris ici est valable pour toutes les structures, et tous les référentiels de management : la référence généraliste qu'est l'ISO 9001 comme la norme d'accréditation des laboratoires de biologie médicale, l'ISO 15189, l'ISO 13485:2016 pour les dispositifs médicaux, l'ISO 17025 pour les laboratoires d'étalonnage et d'essais, etc.
- Je me propose donc de vous expliquer le concept et la manière de mettre les choses en place.
Un principe de base
- Pour l'ISO 9000 : 2015, la définition de processus est "ensemble d'activités corrélées ou en interaction qui utilise des éléments d'entrée pour produire un résultat escompté". (L'ancienne version de l'ISO 9000 disait : "ensemble d'activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments d'entrée en éléments de sortie.") Le "résultat escompté" est donc constitué des "éléments de sortie".
- Pour prendre un exemple, le boulanger transforme de la farine, de l'eau, du sel et de la levure (éléments d'entrée) en pain (élément de sortie escompté – il peut arriver que les baguettes sortent du four trop cuites, ou pas assez). Pour cela il doit peser, mélanger, pétrir, laisser pousser, portionner, façonner, laisser fermenter une seconde fois, donner quelques coups de lame dans la pâte et enfin faire cuire les pâtons. Ces activités sont à l'évidence corrélées.
- Il va par ailleurs générer aussi des sacs de farine vides, de la poussière, des restes de pâte dans le pétrin, etc., autant d'éléments de sortie qui ne font pas partie du résultat escompté, mais dont il faudra bien s'occuper aussi.
- Et les éléments d'entrée d'un processus sont souvent des éléments de sortie d'autres processus. Ainsi, le pain fabriqué par le boulanger devient l'élément d'entrée du processus de vente, qui va permettre de faire entrer l'argent dans le tiroir-caisse – ce qui est le but du jeu !
- Le second processus – la vente – nécessite des compétences spécifiques, des équipements particuliers, un local dédié. Et les déchets générés par l'activité du boulanger devront être éliminés, l'énergie devra être approvisionnée, etc. ce qui implique de nouveaux processus, eux aussi en interaction les uns avec les autres.
- Il faut souligner l'enchaînement fondamental :
- La direction analyse le contexte dans lequel évolue l'entreprise (l'organisme),
- La direction identifie un objectif stratégique pour son activité, adapté à ce contexte et à ses moyens,
- Elle conçoit l'organisation ( = les processus) qui lui permettra d'atteindre cet objectif dans ce contexte,
- Elle définit une politique qualité, qui doit être au service du but de l'organisme au service de cette organisation.
- L'environnement va faire peser sur le processus des contraintes qui vont l'éloigner de son objectif. Il va donc falloir en modifier les réglages pour le remettre dans le bon chemin. C'est ce que l'on appelle le pilotage.
- Pour schématiser, on peut dire que :
- Un processus est un système, c'est à dire une réunion d'éléments assemblés pour atteindre un objectif;
- Cet objectif doit donc avoir été défini au préalable;
- Ce système doit générer de la valeur ajoutée;
- Ce système doit être piloté.
- On peut résumer cela sur le schéma suivant :

- Enfin, on notera que, si les procesus appartiennent à l'entreprise (et doivent donc être personnalisés – on ne recopie pas la cartographie de son voisin, on décrit la meilleure organisation possible pour son entreprise), on distingue couramment :
- les processus de réalisation, qui ne sont que les différents métier, ceux qui génèrent la valeur ajouté que le client va acheter;
- les processus de management, qui sont ceux de la direction générale et de la direction qualité;
- les processus support, indispensables au fonctionnement des activités à valeur ajoutée, mais hors du cœur de métier de l'entreprise.
Et par exemple, si l'activité de comptabilité est un processus support pour la majorité des entreprises, ce sera une activité de réalisation quotidienne pour une banque.
Une vision transversale
- Cette approche est souvent présentée comme une vision transversale de l'organisation. C'est vrai, à condition de ne pas voir les choses à l'envers.
- Ainsi, je vois parfois des entreprises dans lesquelles on invente des processus qui ne représentent rien de réel, mais qui sont supposés rassembler le personnel sur une vision transversale. Je prendrais un seul exemple : une entreprise industrielle, dont le responsable commercial était le pilote d'un processus intitulé "introduction de nouveaux produits sur le marché". Il était censé diriger le bureau d'études, le marketing, mais aussi les méthodes, la qualité, la production. Sans pouvoir réel sur ces différentes ressources, il avait beaucoup de mal à cacher sa frustration : il n'avait aucun moyen de faire avancer les choses, il ne pilotait rien. Cela n'empêchait pas les nouveaux produits d'être créés, et lancés. Mais les choses se passaient "à la bonne volonté", chaque responsable faisant "ce qu'il fallait" pour que les clients voient arriver les produits nouveaux.
- Son objectif était par ailleurs ... ahurissant : "générer x k€ de marge brute à l'année". Le pauvre "pilote" avait beau expliquer qu'il ne pouvait jouer que sur le chiffre d'affaires (nombre de ventes × prix de vente unitaire), et pas sur la marge (qui dépend aussi du coût de revient, lequel est parfois décidé de manière arbitraire, lorsque, par exemple, on demande à un site de production de contribuer au profit), rien n'y faisait. Le directeur général s'en tenait à cet objectif. Lequel n'était pas atteint. Sans que cela ne pose de problèmes à quiconque...
- Dans la situation ci-dessus, les processus ne reflètent pas l'activité réelle de l'entreprise. Et ils ne fonctionnent pas, ils n'atteignent pas leurs objectifs. Mais, heureusement, il existe des processus de fait, solidement implantés et efficaces. Le BE, les méthodes, la qualité, l'administration des ventes, etc. connaissent leurs métiers respectifs et produisent ce que l'on attend d'eux. Simplement, on les désigne sous le nom de "services".
- La vision transversale de l'approche n'est que la traduction de l'organisation vue comme un ensemble de processus interagissant les uns avec les autres. Chacun d'entre eux étant le client et le fournisseur d'au moins un autre.
- Ainsi, on ne peut plus avoir des services fonctionnant les uns à côté des autres, mais une chaîne ininterrompue de fournisseurs et de clients partant des fournisseurs externes pour aller jusqu'aux clients finaux, et passant par les activités "métier" – ceux qui génèrent la valeur ajoutée, et qui ont à leur tour besoin de support, avec lesquels ils entretiennent des relations de client à fournisseur, etc.
Pilotage et pilote
- Les processus doivent être pilotés, c'est à dire qu'il faut une personne qui réagisse à l'apparition des contraintes pour remettre le processus dans "le bon sens". En effet, les contraintes extérieures auront tendance à l'éloigner de son objectif. Piloter, c'est modifier le réglage précédent. Aussi longtemps qu'un réglage est correct, c'est à dire qu'il permet de se rapprocher de son objectif, le pilote ne doit pas le changer. En revanche, le pilote doit être informé le plus tôt possible des évolutions de l'environnement, et agir de manière appropriée sur les moyens dont il dispose pour rester aligné sur son objectif.
- Pour cela, le pilote doit avoir :
- des moyens à sa disposition. Pour piloter (pour conduire) votre automobile, vous devez avoir un moteur, du carburant, une colonne de direction, une boîte de vitesses, des freins, etc. Bien entendu, on rencontrera régulièrement des pilotes qui vont regretter que ces moyens sont insuffisants. C'est parfois vrai, mais en aucun cas il ne faut que cette insuffisance de moyens ne soit le résultat d'une décision managériale. La planification (la phase "plan" de la Roue de Deming, autre fondamental du management de la qualité) doit avoir fait en sorte que les moyens et les objectifs sont adaptés les uns aux autres.
- des compétences. Il n'est pas si rare que cela de croiser des pilotes qui ne possèdent pas toutes les compétences requises. Il peut s'agir de compétences techniques ou de compétences managériales. C'est en particulier le cas lorsque le processus n'est pas répétitif, lorsqu'il s'agit de l'amener d'un état initial à un état final. Dans ce cas, si le pilote était compétent à l'origine, il peut arriver qu'il soit confronté, au fur et à mesure que le projet de transformation avance, à des situations auxquelles il n'est absolument pas préparé. Et on se rapproche alors de l'échec. La direction (avec les ressources humaines) doit absolument vérifier la compétence de ses pilotes, et les former, les accompagner autant que nécessaire.
- l'autorité pour piloter. Cette dernière est malheureusement celle qui fait le plus souvent défaut. Combien de pilotes sont "responsables", sauf en matière de recrutement, de rémunération, de promotion, d'investissement... Un pilote doit pouvoir piloter. Et comme c'est lui qui possède la compétence, il est normal qu'il décide en toute liberté. Ne pas donner l'autorité à un pilote revient à faire prendre les décisions à quelqu'un qui est moins compétent : reconnaissez que c'est une drôle de manière de voir les choses ! Par ailleurs, cela ne pourra que démotiver le pilote en question.
- Ce pilote est donc nécessairement un manager. En fait, les directeurs (les directrices) sont naturellement des "pilotes". Si les choses sont bien faites, il n'y a pas de différences entre la vision traditionnelle des services auxquels sont assigrés des objectifs opérationnels et celle des processus. Et, de manière récursive, les chefs de service, chefs d'équipe, etc. sont pilotes des sous-processus. Et quoi qu'il arrive, on ne recrutera jamais les pilotes au volontariat (j'écris ceci, parce que je l'ai vu à au moins deux reprises...)
La fiche descriptive
- Le découpage en processus est affaire de direction générale. Ce n'est qu'au plus haut niveau hiérarchique que l'on peut décider de l'organisation de l'entreprise. Et ce n'est pas une chose facile. Il faut en effet veiller à ce que les processus prennent en compte toutes les activités de l'entreprise (tout doit être piloté, aucun "trou" ne doit subsister), mais aussi à ce qu'aucune activité ne soit incluse dans deux processus (cela reviendrait à confier à deux pilotes différents l'autorité sur les mêmes moyens pour atteindre les mêmes objectifs.)
- Il est donc utile de rédiger une "fiche processus", ou "fiche descriptive". Son objet est de clarifier chaque processus, de permettre une communication efficace, de valider les limites de responsabilités. On va y trouver :
- un intitulé, un nom pour le processus. Je recommande d'utiliser un verbe d'action plutôt qu'une activité : "Assurer la mise à disposition des matières premières" ou " Assurer la mise à disposition de moyens" plutôt que "achats". La différence peut sembler mince, mais j'ai rencontré un jour un responsable achats, pilote du processus du même nom, dont le seul indicateur était la consommation du budget qui lui était alloué. Il était acheteur, il achetait. Même lorsqu'il n'y vait pas de besoin (il avait ainsi changé du mobilier presque neuf au simple motif qu'il restait de l'argent sur le compte...) Si le nom de son processus avait fait référence à des clients internes et à leurs besoins, peut-être aurait-il fait un meilleur usage des ressources de son employeur ;
- l'identification du pilote, en faisant référence à sa fonction plutôt qu'à son nom ;
- les acteurs du processus (on a parfois des surprises, comme dans cette structure médico-sociale dont certains acteurs d'un processus déniaient à leurs assistantes ce même statut d'acteur. "Elles font ce qu'on leur demande de faire, et c'est tout !" "Mais il doit bien arriver des situations, lorsque vous êtes en vacances par exemple, où elles peuvent faire preuve d'initiative ?" "Oui, bien entendu, et heureusement qu'elles le font." "Donc, dans ces cas là, elles sont bien actrices ?" "Oui, mais on ne va pas les lister comme acteurs pour quelques jours par an !" Imaginez l'ambiance dans cette équipe, et l'efficacité de ces équipes...). C'est là aussi que l'on va mettre en évidence la vision transversale, en montrant que certains acteurs sont extérieurs à l'équipe en charge de l'aspect opérationnel du processus (par exemple, tous les managers de l'entreprise sont acteurs du processus formation continue, alors que ce dernier est le plus souvent rattaché à la division Ressources Humaines...) ;
- les moyens indispensables au fonctionnement du processus ;
- les attentes des clients; qui sont parfois les clients externes à l'entreprise, souvent des clients internes – sans oublier les parties intéressées. C'est l'enchainement de ces relations client – fournisseur entre processus amont et aval qui va faire vivre la vision transversale dont on parlait plus haut ;
- les objectifs assignés au processus. Et ils peuvent ne pas être totalement alignés avec les attentes des clients. Par exemple, lorsqu'une personne se présente aux urgences d'un hôpital, c'est pour y être soignée (elle a donc une attente sur le résultat). Mais le personnel hospitalier, lui, ne va s'engager que sur la prise en charge (donc sur les moyens). Bien entendu, dans l'immense majorité des cas, les moyens mis en œuvre vont permettre d'atteindre le résultat escompté, mais si d'aventure le patient n'était pas guéri au terme de la prise en charge, les médecins comme les soignants ne se verraient rien reprocher. Il est bon de mettre ce genre de choses par écrit...
- les processus client et fournisseur du processus en question ;
- les sous-processus qui font fonctionner le processus. Il y en a généralement un petit nombre, le plus souvent moins de cinq, avec :
- leurs éléments d'entrée ;
- leurs éléments de sortie ;
- les risques qui leur sont associés : risque de ne pas disposer de l'élément d'entrée, ou de disposer d'un élément d'entrée non-conforme; risque de ne pas générer l'élément de sortie attendu ou d'en générer un qui serait non-conforme;
- les indicateurs de pilotage, ceux qui permettent au pilote de piloter – comme par exemple le niveau de remplissage du réservoir et la vitesse instantanée pour un chauffeur-livreur ;
- les indicateurs de résultat, ceux qui permettent au pilote de montrer que son processus est efficace (qu'il atteint ses objectifs).
- On a ainsi une description complète des activités, avec leurs limites, les moyens impliqués, les éléments de management etc. Une fois que l'on aura établi une fiche de ce genre pour chacun des processus, on pourra passer à la vérification de la cohérence du système dans son ensemble : tous les éléments d'entré identifiés doivent nécessairement provenir d'un fournisseur extérieur ou être les éléments de sortie d'un autre processus. Inversement, chaque élément de sortie doit être pris en charge par un autre processus, ou être à disposition du client externe. Cette vérification laisse généralement voir des manques, des ambiguïtés, des points à revoir. Il faudra bien entendu les corriger. Et, encore une fois, c'est de la responsabilité de la direction que de procéder à la validation finale.
- Ensuite seulement, les pilotes pourront, à leur niveau – et s'ils en sentent l'utilité, décrire de la même manière les sous-processus de leur processus.
- Dernier point : restez concis. Une fiche descriptive devrait toujours tenir dans une feuille format A4, avec une police de caractères lisible !
La cartographie
- Une fois les processus décrits – et seulement à ce moment-là, on peut dessiner la cartographie, c'est à dire une représentation graphique des processus et de leurs interactions. Ce terme de cartographie est utilisé en France et nulle part ailleurs. Les anglo-saxons parlent de "process map", c'est à dire de "carte des processus". Et ce terme n'est pas repris dans l'ISO 9001. Avoir une "cartographie" des processus de l'entreprise n'est donc pas une obligation de la Norme.
- C'est néanmoins une habitude solidement ancrée, et nombre d'auditeurs seraient déstabilisés si un audité ne leur présentait pas une feuille A4 sur laquelle figurent quelques blocs dessinés, avec les processus :
- de réalisation sur un axe horizontal,
- de management au-dessus,
- et de support en-dessous.
- Avec, trop souvent, les exigences client dans un bloc à gauche, et la satisfaction client dans un bloc à droite. Ces deux derniers blocs sont peu utiles, ils ne représentent pas les processus de l'entreprise, et ne sont qu'une copie servile du schéma général de l'organisation d'un "organisme" que l'on trouve en introduction de la Norme ISO 9001 depuis sa version 2000.
- Ce genre de représentation est de surcroît le plus souvent incapable de matérialiser les interactions entre les processus (ce qui est pourtant la seule exigence de l'ISO 9001). Cela reste malgré tout un bon moyen de communiquer. Alors, je vous recommande de passer le temps qu'il faut pour créer le schéma qui décrira au mieux votre organisation. Ce n'est pas une tâche aisée.