La politique qualité, au service de l'objectif stratégique
Une entreprise est un système, c’est-à-dire, selon Joël de Rosnay, « un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisé en fonction d'un but ». Les éléments en interaction dynamique sont les locaux, les ressources humaines et financières, les équipements. Les manières de faire et l'organisation vont faire interagir ces éléments de la manière la plus harmonieuse possible.
Mais dans quel but va-t-on faire interagir les éléments ? Certainement pas pour contribuer à faire augmenter l'entropie ! C'est à la direction de définir un but. Pas de système, donc pas d'entreprise, sans un but associé. Sans but, comment s'organiser ? Si je ne sais pas où nous partons en vacances, que vais-je mettre dans ma valise ? Et comment saurais-je que j'ai réuni les éléments adéquats ? Bien entendu, une fois sur la plage, je vais me rendre compte que mon piolet et mes crampons ne sont pas à leur place ! Mais si j'avais pu anticiper, je me sentirais moins bête...
Le but, pour un laboratoire de biologie médicale peut être de devenir le plus gros, ou le plus rapide de l'agglomération, du département ou de la région. Ou alors d'être le partenaire de telle clinique ou tel centre hospitalier. Ou encore d'être le laboratoire de référence pour tout ce qui touche à l'hématologie.
Pour une entreprise industrielle, le but pourrait être de maîtriser la totalité de la chaîne de valeur, ou d'être l'acteur le plus rapide, ou le moins cher pour la fourniture de tel ou tel élément, ou encore être l'entreprise la plus réputée pour sa créativité et ses innovations. Et ainsi de suite.
A partir de là, la direction peut bâtir une stratégie, des étapes pour atteindre cet objectif. Prévoir les modifications d'organisation, le plan d'investissement, recruter ou former. Ces étapes, et les conditions pour les atteindre seront précisées dans ce qu'on appelle la politique qualité.
Les normes de management (ISO 9001, 13485, 17025, ISO 15189, IATF 16949, EN 9100...) – l'ISO 9001 étant "le" modèle – font toutes référence à la politique qualité. La définition (issue de l'ISO 9000) est la suivante : « intentions et orientations d'un organisme relatives à la qualité, telles qu'exprimées formellement par la direction. », avec une note précisant que « La politique qualité est généralement cohérente avec la politique générale et fournit un cadre pour fixer des objectifs qualité. »
En résumé : la politique :
contient des intentions,
contient des instructions et
les objectifs en découlent.
Ensuite, les normes confient "à la direction" la mission de garantir la mise en œuvre de cette politique qualité. Celle-ci doit être adaptée aux finalités de l'entreprise, et fournir un cadre pour définir et revoir des objectifs. Tout est dit, ne manque que l'explication de texte – que que je vais faire ci-dessous.
Première explication : les " intentions et orientations ". La direction sait ce qu'elle veut pour son entreprise. Il est normal et indispensable qu'elle communique sur le sujet. C'est une version un peu sophistiqué du but dont je parlais plus haut. Et l'on va aller encore plus loin dans les définitions.
Selon l'ISO 9000, la vision est " l'aspiration à ce qu'un organisme souhaite devenir, telle que formulée par la direction ". D'autres approches vont plus loin, en allant jusqu' à imaginer le monde dans lequel l'entreprise veut vivre. Par exemple, la vision de l'organisation non gouvernementale Amnesty international est "un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et les autres instruments internationaux relatifs aux droits humains."
Toujours selon l'ISO 9000, la mission est la " raison d'être d'un organisme, telle qu'elle est formulée par la direction ". Pour Amnesty international, c'est "de mener des recherches et des actions visant à prévenir et faire cesser les atteintes graves à l'ensemble de ces droits ".
La mission définie par la direction est donc au service de sa vision. Pour que l'entreprise arrive à atteindre son but, son objectif stratégique, il convient que les salariés se retrouvent derrière des valeurs communes. L'ISO 9000 ne donne pas de définition des valeurs, mais il suffit de s'accorder sur le fait que les valeurs sont ce qu'un groupe social déterminé juge important, ce à quoi les membres de ce groupe accordent ... de la valeur ! Ce sont des choses comme le comportement éthique, le développement personnel, la solidarité, la bienveillance, la vision non punitive des erreurs, etc. Ces valeurs sont définies en commun par l'ensemble du personnel ; elles seront ensuite mises en avant lors des recrutements et on y fera référence lors des entretiens annuels.
Pour Amnesty international toujours, les valeurs partagées sont :
la solidarité internationale,
une action efficace en faveur de victimes individuelles,
un champ d'action mondial,
l'universalité et l'indivisibilité des droits humains,
l'impartialité et l'indépendance,
la démocratie et le respect mutuel.
On voit ainsi que le tryptique vision – misson – valeurs permet de jeter les fondations d'un système de management. Ensuite seulement peuvent venir la politique qualité et l'organisation. l'organisation est contrainte par beaucoup de choses : les locaux, le personnel, la capacité de financement, la réglementation du travail, etc. La politique est au service de l'organisation actuelle, ou de l'organisation future.
Pour atteindre son objectif stratégique, la direction doit donc se fixer des objectifs opérationnels intermédiaires : un investissement dans du matériel, des recrutements, la négociation d'un accord d'entreprise prévoyant le travail posté, signer des accords de partenariat avec d'autres entreprises, que sais-je encore ? Les possibilités sont nombreuses, mais elles ne s'appliquent pas en totalité à toutes les entreprises.
Et puis, il faudra veiller à faire évoluer cette politique et ces objectifs dans le temps. l'objectif stratégique peut rester le même sur une longue période, mais les objectifs opérationnels, non. Une fois l'accord d'entreprise signé, il faut passer à autre chose. La politique qualité est revue chaque année, et mise à jour environ tous les 3 ans.
Si la norme parle d'objectifs « qualité », vous pouvez bien entendu comprendre « objectifs fixés par la direction ». Car ne nous y trompons pas : nous avons ici des moyens permettant d'atteindre l'objectif économique – et c'est celui-là que recherchent les actionnaires. L'objectif n'est pas de satisfaire le client, mais un client satisfait permettra d'atteindre le chiffre d'affaires au-delà duquel l'investissement sera rentabilisé.
Les politiques qualité que l'on peut lire sont souvent assez peu spécifiques. Généralistes, certaines pourraient aussi bien s'appliquer à la Banque de France qu'à une prison ou un fabricant de pantoufles en feutre ! En résumant, cela ressemble à « assurer un service de qualité à nos clients, en garantissant le bien-être de nos salariés et un impact environnemental minimisé ». Aucun objectif tangible ne vient soutenir ces slogans … Comment peut-on imaginer que le personnel se sentira porté à se dépasser avec des motivateurs aussi vagues ? Et comment vont réagir les banquiers, lorsqu'on ira leur présenter ce genre de « business plan » ?
Je vous recommande de faire un petit test. Pour chaque élément de votre politique qualité, distinguez :
les slogans : il s'agit de bonnes intentions, généralistes, et surtout pas spécifiques à l'activité de l'entreprise – comme par exemple « promouvoir l'amélioration continue à travers l'utilisation d'indicateurs » ;
les moyens que vous allez mettre en place – par exemple « définir des objectifs » ou « réaliser une revue de direction annuelle » ;
Les éléments de politique : concrets, ils parlent de votre projet – par exemple « orienter notre réflexion autour des enjeux climatiques, en diminuant les transports » ou « développer notre implication dans la vie locale, en privilégiant les partenariats avec des entreprises de l'agglomération ».
Ensuite, il suffit d'éliminer les slogans, de réduire le nombre de références aux moyens et de mettre en avant ce qui a réellement trait à la politique qualité ! Votre message y gagnera en clarté, et affirmera votre leadership.