Deux au moins des 8 piliers du management de la qualité font référence aux ressources humaines :
le leadership, cette notion subtile selon laquelle le personnel de l'entreprise doit être guidé, entraîné vers l'amélioration continue par une chaîne de managers qui transposent les objectifs de la direction, définissent les outils à utiliser, préparent les plans d'actions et surtout, animent l'amélioration continue;
l'implication du personnel, qui est le complément indispensable du précédent. On ne peut pas imaginer un système dans lequel la qualité du produit ou du service ne serait pas directement réalisée par le personnel.
l'orientation client, dès lors qu'on l'applique au client interne qu'est le salarié, est un troisième principe de base qui s'applique aussi aux ressources humaines. Et en poussant un peu, si l'on analyse la relation employeur/employé comme une relation client/fournisseur (de force de travail), on a un quatrième principe de base (le management équilibré de cette relation) à satisfaire.
Alors, comment peut-on expliquer le relatif manque d'intérêt porté au personnel, à ses besoins (ou à ses attentes), même dans des entreprises certifiées ISO 9001 ?
Pour beaucoup de personnes (parmi lesquelles des dirigeants d'entreprises et même des responsables qualité), la mise en place d'un système de management certifié ISO 9001 représente uniquement un moyen assez commode pour donner confiance aux clients, c'est à dire en pratique pour assurer la conformité du produit ou du service livré. Les auditeurs des Organismes de Certification n'y trouvent rien à redire, et on rencontre de très nombreux Manuels Qualité qui sont exclusivement tournés dans ce sens-là.
Il est vrai que la Norme ISO 9001 : 2015 ne comporte que des exigences extrêmement basiques en ce qui concerne les ressources humaines. Je peux même citer in-extenso : "7.1.2 Ressources humaines : L'organisme doit déterminer et fournir les ressources humaines nécessaires à la mise en œuvre efficace de son système de management de la qualité ainsi qu'à la mise en œuvre et à la maîtrise de ses processus."
Dans ce "doit déterminer", on trouve pêle-mêle la compétence, l'expérience, le nombre de personnes, leurs relations hiérarchiques ... C'est de la planification, cela doit être fait au moment de la conception des processus, et il faut ré-évaluer l'adéquation des ressources aux besoins lors des revues de direction.
Un autre article traite aussi de l'attention à porter aux salariés :
"7.1.4 Environnement pour la mise en œuvre des processus : L'organisme doit déterminer, fournir et maintenir l'environnement nécessaire à la mise en œuvre de ses processus et à l'obtention de la conformité des produits et des services.
NOTE Un environnement approprié peut être une combinaison d'aspects humains et physiques, tels que:
a) sociaux (par exemple non discriminatoire, calme, non conflictuel);
b) psychologiques (par exemple réduction du stress, prévention du «burnout», protection affective);
c) physiques (par exemple température, chaleur, humidité, lumière, circulation d'air, hygiène, bruit).
Ces aspects peuvent varier considérablement selon les produits et services fournis."
Ce paragraphe représente une avancée très notable par rapport à la version 2008. On est là dans la responsabilité sociétale des entreprises, et c'est une excellente chose. Il est seulement étrange (à mes yeux) de voir cette note dans une section consacrée à l'environnement de travail, alors qu'il n'est pas fait mention de conditions permettant de réaliser telle ou telle opération de production, comme par exemple la stérilité ou l'absence de charges électriques...
Cette vision "qualité = conformité" est très réductrice, et elle a pour conséquence collatérale de focaliser le système de management sur les sorties du processus, au détriment de tout le reste. Or, dans la partie "conception" de l'activité, on devrait avoir un gros volet "planification", dans lequel on retrouve bien entendu le cahier des charges, mais aussi l'analyse des moyens à mettre en œuvre. Et ces moyens comprennent nécessairement les ressources humaines (RH). On devrait dès lors prêter une attention particulière à :
la quantité, c'est à dire le nombre de personnes nécessaires à l'accomplissement des tâches;
la qualité, c'est à dire les compétences nécessaires à l'accomplissement des tâches;
Ces deux paramètres étant bien entendu analysés pour des conditions "nominales", mais aussi dans des conditions défavorables, ou dégradées. J'utilise à dessein ce vocabulaire de production industrielle; mais il est facile de le transférer sur le domaine de la gestion des ressources humaines. Les conditions dégradées, ce sont :
la charge de travail qui augmente
les cadences qui augmentent, ou les délais qui se raccourcissent (ce n'est pas tout à fait le même cas que précédemment)
le métier qui évolue sans que la formation ne soit renouvelée
un salarié qui est affecté sans formation à un poste de travail
les instructions données qui sont incomplètes, floues ou incorrectes
La planification, telle qu'on la caricature (ou pas...)
Planifier, c'est prévoir, ou plus précisément, c'est formaliser les besoins. L'entreprise a besoin de personnel, pour accomplir les tâches nécessaires à la création de valeur (cette définition générale s'applique autant à l'industrie du luxe qu'aux activités médico-sociales qui nécessitent une création de valeur pour l'usager). Il s'agit donc notamment de prévoir de combien de personnes on aura besoin, à quels postes, etc.
Cette planification initiale est généralement assez bien réalisée. C'est au cours du temps que les choses ont tendance à se gâter... Les personnes restent à leur poste, le système fonctionne, et on se convainc que ça durera toujours. Mais les écueils sont là :
On oublie la formation continue. Les deux ou trois premières années, on n'accorde que peu d'occasions de se former à la personne. Laquelle ne demande rien. Elle bénéficie de quelques heures sur la sécurité au poste de travail, ou sur le risque incendie, à moins que ce ne soit sur la nouvelle version du logiciel de gestion de production. Parfois, cette situation perdure.
On a une vision administrative de la formation continue. La direction des ressources humaines fait circuler un formulaire sur lequel les salariés expriment leurs souhaits de formation. Ce formulaire n'étant pas toujours accompagné, les demandes recueillies montrent une très grande variabilité. Certains salariés ont un véritable objectif personnel, se sont renseignés et ont des demandes très précises - qui peuvent intéresser leur avenir professionnel ou individuel (parfois les deux coïncident, lorsqu'une demande de formation en langues étrangères prépare une démission pour cause de poste plus intéressant ailleurs).
d'autres expriment des souhaits assez vagues, d'autres encore expriment des souhaits de formation précis, mais qui ne sont pas en phase avec l'avenir que leur supérieur leur prévoit. d'autres enfin ne "demandent" rien, soit par désintérêt de ce que l'entreprise peut leur apporter, soit par crainte d'aller en formation (même s'ils présentent cela sous la forme de contraintes familiales "mais pour aller là bas, je devrais prendre le train à 8 heures moins le quart, et qui va s'occuper de mes enfants ?" ou professionnelles "ah non, pour les 6 mois qui viennent, je serai "archi-booké", pas le temps à perdre en formation").
Le responsable de la formation à la DRH va néanmoins préparer son plan de formation, et les salariés seront avisés de l'acceptation ou du rejet de leur demande. Mais ils risquent d'avoir une vision assez déformée et du résultat, et du circuit de décision. J'en rencontre régulièrement qui s'en plaignent.
Si les besoins ont été estimés, la formalisation des compétences requises pour un poste n'est pas toujours réalisée. On trouve parfois des "fiches de fonction" ou des "fiches de poste" - sans d'ailleurs que l'on sache toujours très bien si (ou en quoi) ces deux notions sont différentes l'une ou l'autre, mais on n'a pas nécessairement la liste des compétences techniques ou sociales) attendues pour tenir le poste, et encore moins comment on fait pour les vérifier.
Les formations, quand elles ont lieu (ce n'est pas une provocation de ma part, mais en 1999, une entreprise française de plus de 1000 salariés n'a déclaré aucune heure de formation : aucun salarié n'a bénéficié de quoi que soit en matière de formation - ou alors l'entreprise n'a pas souhaité récupérer les sommes qu'elle avait versées à son OPCO, ce dont je doute un peu), les formations donc, sont parfois imposées aux salariés, qui assistent alors sans véritable motivation. Le transfert des compétences est moins facile à garantir.
Non seulement les formations peuvent être imposées, mais encore, le salarié peut n'être informé de sa participation à une action de formation que la veille seulement, en recevant une convocation. Comment, dans ces conditions, faire passer le message d'une formation continue réfléchie, destinée à doter l'entreprise (et donc les salariés) des compétences qui lui sont ou qui lui seront nécessaires ? Comment montrer au salarié qu'il est partie prenante d'un système qui évolue ? Comment transformer l'encadrement intermédiaire en relais de cette dynamique si lui même n'apprend les départs en formation qu'au même rythme que ses subordonnés ?
Le respect mutuel entre l'employeur et le salarié est à la base du succès de l'organisation. L'employeur et ses salariés doivent partager des valeurs, des objectifs, des comportements.
Sur ces prémisses, on peut construire !
Les tâches doivent être clairement définies. Le salarié y gagne de la sérénité (il sait ce que l'on attend de lui), son manager y gagne une aide inestimable au pilotage. La rédaction de fiches de fonction est en effet un moment privilégié pour réfléchir aux limites de responsabilités entre les différentes fonctions. Mettre par écrit le résultat de cette réflexion évite ensuite les conflits, et permet d'identifier les tâches qui ne sont sous la responsabilité de personne. Cette situation est plus fréquente qu'on ne l'imagine, ce qui ne veut pas dire que le travail n'est pas fait ! Simplement, dans ce cas-là, on va fonctionner à l'habitude, ou à la bonne volonté, ou encore à l'arbitraire. Mais en aucun cas on ne peut alors parler de "pilotage" de l'activité...[Le naufrage du ferry Herald of Free Entreprise, le 6 mars 1987, qui fit 193 victimes, est dû au fait que les portes étaient "habituellement" fermées par un matelot qui, ce soir-là, dormait dans sa cabine. La tâche n'était en pratique formellement assignée à personne...]
Les compétences des salariés sont maintenues et augmentées. Il s'agit bien entendu de formation continue, mais elle devrait être décidée par l'employeur. C'est un des éléments de sortie de la revue de direction que le statut sur le besoin en ressources, parmi lesquelles on trouve bien entendu les ressources humaines. On évalue les besoins en nombre mais aussi en compétences. Le plan de formation devrait donc être validé en revue de direction ! Les managers rencontrent les salariés pour définir avec eux les évolutions envisageables de leurs activités, de leurs responsabiliéts, de leurs compétences. Il y a toujours des actions à programmer, ne serait-ce que sauveteur-secouriste du travail, dont les enseignements sont utilisables en dehors de la sphère professionnelle. Tous les citoyens devraient posséder leur brevet de premier secours ! Les demandes personnelles des salariés sortant du cadre des besoins de l'entreprise sont alors prises en compte au travers d'un véritable dialogue, et dans la mesure du possible, le salarié est accompagné dans son projet individuel.
Les connaissances des salariés sur le fonctionnement de leur processus sont exploitées. Les salariés connaissent leur environnement de travail, ils connaissent "leur travail". Ils sont donc très bien placés pour en analyser le fonctionnement, pour déceler les points faibles et pour suggérer des améliorations. Il est essentiel d'écouter ces remarques et d'y apporter, chaque fois que c'est possible, une réponse favorable. Ceci est dans le droit fil de l'approche kaizen, mais il n'est pas nécessaire d'utiliser ce mot ! On peut aussi passer par des systèmes de "boîtes à suggestions", ou poser la question lors de réunions d'équipe régulières, ou encore organiser des "chasses aux anomalies". Peu importe le moyen utilisé pour récupérer l'information, ce qui compte est de faire participer le salarié à l'amélioration de son poste.
Bien entendu, toutes les suggestions ne seront pas retenues. Il convient alors d'en expliquer la raison (et de faire en sorte que cette raison ne soit pas systématiquement "nous n'avons pas les moyens de le faire"), ou si besoin de former les personnes qui ne verraient par exemple pas l'intérêt de réaliser telle opération, ou de suivre scrupuleusement le mode opératoire.
Les salariés sont écoutés et leur mérite est reconnu. Au delà de la prime individuelle sur objectif, les salariés ont besoin que leur travail soit reconnu - et l'argent n'est à mon avis pas le meilleur moyen pour cela. La reconnaissance, c'est s'entendre dire "je suis content, vous avez fait du bon boulot", c'est être responsabilisé sur le compagnonnage, ou le "chaperonnage" lorsqu'un nouveau entre dans le service, c'est pouvoir s'exprimer dans le journal d'entreprise, c'est bénéficier de formation (encore ?), c'est participer à des réunions de groupes de travail de résolution de problèmes, c'est être consulté sur les modifications dans le service ou l'atelier...
Les conditions de travail permettent l'épanouissement des salariés. On arrive ici dans les frontières floues entre le management, la qualité, la responsabilité sociétale, la gestion des RH, la prise en compte des attentes psycho-sociales des salariés. Un salarié heureux travaille mieux, plus efficacement, génère moins de défauts (je me souviens de l'aspect pris par les courbes de suivi de défauts dans un site industriel, avant et après l'annonce de la fermeture et du plan social. La date de l'annonce était au pied du ressaut !), communique mieux avec ses collègues et sa hiérarchie... Tout est donc favorable à l'entreprise. Ainsi, permettre au salarié son épanouissement, ou se montrer arrangeant lorsqu'il a un besoin ponctuel d'aménagement d'horaire, est un bénéfice pour l'entreprise, pas un cout.
Ensuite, comme pour toute entreprise, on fait tourner la roue de Deming :
On met en pratique ce qui a été décidé : écriture des fiches de poste, réflexion sur les besoins futurs, élaboration du plan de formation, écoute des salariés, réalisation des actions de formation...
On vérifie ce qui a été fait, c'est à dire qu'on vérifie 4 choses :
que les actions de formation ont bien été réalisées - ce n'est pas le plus difficile !
que les actions de formation ont été efficaces. C'est en revanche plus délicat. Le plus souvent, on se contente de demander au salarié d'exprimer sa satisfaction sur le stage auquel il a participé. C'est très insuffisant ! D'abord, parce que le salarié n'est pas nécessairement le plus objectif : il suffit parfois de sortir de son environnement de travail pour revenir avec une bonne opinion de la formation. Ensuite, parce que, si la formation a été décidée en accord avec la hiérarchie, dans le cadre d'un plan réfléchi, c'est au responsable hiérarchique de valider que les compétences visées ont bien été acquises. C'est donc une évaluation à froid (au bout de plusieurs semaines) réalisée par la hiérarchie que l'on devrait avoir.
que le plan de formation était adapté. Le fait d'avoir envoyé telle personne suivre telle formation à l'extérieur, d'avoir organisé telle autre action en "intra" doit avoir fait progresser l'entreprise. C'est l'ensemble de l'édifice que l'on doit évaluer, en fin d'année. Pour cela, le responsable RH doit obtenir de l'ensemble des pilotes un statut clair sur l'adéquation du plan de formation aux besoins réels
que les salariés se déclarent heureux dans l'entreprise, qu'ils considèrent leur travail épanouissant, ou au minimum que les conditions dans lesquelles ils exercent leur activité professionnelle sont favorables à leur épanouissement personnel.
Le cas échéant, on ajuste. Les enseignements obtenus précédemment permettent d'alimenter la réflexion pour l'année suivante : on sait ce qui doit être fait.
et on recommence à planifier, on réalise, on vérifie, etc. C'est tout autant de l'amélioration continue que du fonctionnement "normal".
Pour information, les entreprises qui visent la reconnaissance de leur excellence (Prix Français Qualité Performance, Prix Européen de l'EFQM ou encore Malcolm Baldrige National Quality Award) doivent démontrer qu'elles portent à leurs salariés une attention soutenue.
La Norme ISO 9001 est appelée à évoluer, la nouvelle version a été publiée fin 2015. Elle contient des avancées intéressantes en ce qui concerne les RH.
Le point 7.1.6 en particulier traite du management des connaissances organisationnelles, et le point 7.2, du management des compétences. Le simple fait que les deux soient clairement dissociés est un facteur positif. Le fait que l'on traite de la formation, de l'accompagnement, de la réaffectation du personnel, ou de la sous-traitance, comme possibilités de gérer les compétences est aussi un point intéressant.