Toutes les normes de management, de ISO 9001 à l'ISO 50001, en passant par les ISO 13485, 22000, 17025, ISO 15189, 27001, 45001 ou 14001 exigent la tenue d'une revue de direction "à intervalles planifiés". Bien entendu, la fréquence n'st pas spécifiée. Nous reviendrons sur le sujet plus loin.
La revue de direction s'inscrit parmi les outils du "check" du PDCA, aux côtés notamment des audits internes.
Première chose importante : si la clause des normes est bien titrée "revue de direction", l'exigence est formulée de la manière suivante :"La direction doit procéder à la revue du système de management (...) afin de s'assurer qu'il est toujours ...". On parle donc bien ici de la revue d'un système de management. L'objectif est clair : statuer sur le système de management, c'est à dire sur l'organisation de l'entreprise. J'insiste lourdement car trop souvent, les revues de direction semblent avoir oublié ce point.
Ensuite, les normes demandent donc à vérifier que le système de management de la qualité / de la sécurité / environnemental / de l'énergie, etc. est :
approprié,
adapté (parfois : adéquat),
efficace,
en accord avec l'orientation stratégique de l'organisme.
Les termes qui précèdent ne sont pas clairement définis. Et nombreux sont ceux qui ont du mal à faire la distinction entre "approprié" et "adapté". Un petit tour dans un dictionnaire nous apprend que :
approprié renvoie à l'activité de l'entreprise — on pourrait aussi faire référence à l'objet social de l'entreprise.
adapté concerne le système lui-même : ses constituants doivent former un tout homogène. Le système de management est donc adapté à l'entreprise et son environnement.
En résumé : la revue de direction doit valider que l'organisation de l'entreprise :
est pertinente au vu de son activité : un salon de coiffure ne va pas rémunérer une armée de contrôleurs, quand un constructeur aéronautique n'hésitera pas à le faire ;
est pertinente aussi au vu de l'entreprise, de sa taille, du nombre de ses produits, de ses sites de production ou de vente, du marché dans lequel elle intervient : une PME monoproduit et monosite ne va pas construire les mêmes processus qu'une multinationale, et les deux auront des instances de décision font différentes ;
est capable d'atteindre ses objectifs — que ceux-ci aient été fixés par la direction (cas de la PME) ou qu'ils soient imposés par une maison-mère située dans un pays étranger, et dont la vision est financière avant que d'être industrielle
est aligné avec l'orientation stratégique de l'entreprise. Ce dernier point est — heureusement — généralement satisfait. À condition toutefois que cette fameuse orientation stratégique ait été définie et communiquée. Force est de constater que ce n'est pas toujours le cas (notamment parce que la politique qualité n'est pas pertinente, ou qu'elle n'est pas comprise ...).
En pratique, les responsables qualité qui organisent les revues de direction font ce que disent les normes. Et ces dernières suivent un ordre logique — elles commencent par les données d'entrée. Chaque norme présente une part d'originalité par-rapport à ses voisines. Mais on retrouve tout de même un "fond de jeu" commun. On doit ainsi examiner :
ce qui ne fonctionne pas : résultats des audits, réclamations clients, non-conformités, rebuts, indicateurs en berne, etc.,
ce qui évolue : modification des enjeux internes et externes, de l'activité, des risques et opportunités, des attentes des clients, etc.,
ce qui est en route : relations avec les fournisseurx, l'état des actions décidés à l'issue de la revue précédente, mais aussi atteinte des objectifs et même performance des processus,
ce dont on aurait besoin : adéquation des ressources.
Cela donne lieu à une longue (parfois, très longue) succession de présentation de tableaux de bord, de tendances, de graphiques avec des smileys de différentes couleurs pour indiquer ce qui va bien (la majorité des items) et ce qui va moins bien (un peu d'orange ou de rouge ici ou là). Chaque pilote de processus passe en revue tout ce qui s'est passé au cours de la période écoulée. On assiste de temps en temps au redémarrage des discussions qui ont eu lieu des mois plus tôt, lorsqu'un problème est apparu.
Cet exercice paraît souvent vide de sens. On dresse un bilan, on contemple un constat. Et comme on a mis plusieurs heures à le dresser collectivement, après que chaque pilote ait passé plusieurs jours à préparer la revue, les participants n'ont qu'une envie : que ça s'arrête le plus vite possible.
On se dépêche alors de décider de quelques actions censées résoudre les problèmes constatés. Elles seront intégrées au plan d'amélioration de la qualité. On revoit aussi les objectifs "qualité", et chacun repart dans son coin, poursuivre son activité.
[Je reconnais bien volontiers dans ce qui précède un tout petit tiers de cynisme, un tiers de désabusement (si le mot existe), un bon tiers de caricature, et alors un grand tiers d'esprit de provocation. C'est pour la pédagogie. Et merci Môssieur Pagnol !]
Dérouler la revue de direction comme décrit ci-dessus pose un véritable problème : ce n'est pas ce que demandent les normes ! Les normes attendent les éléments de sortie !
Comme pour les éléments d'entrée, on va retrouver de la variabilité mais toujours avec un socle commun. La revue de direction doit statuer sur :
les besoins en changement à apporter au système de management. Soit parce que l'on possède la preuve que le système ne fonctionne pas (il y a des rebuts, des réclamations clients, etc.), soit parce que, bien que le système fonctionne convenablement, le fait de ne pas le modifier conduirait à une défaillance à court ou moyen terme (typiquement : 6 à 24 mois) ;
les besoins en ressources : le système est bien conçu (il est approprié et adapté — voir ci-dessus), il manque seulement des ressources pour atteindre les objectifs ;
les opportunités d'amélioration : le système fonctionne, il n'est pas en péril à court ni à moyen terme, mais il a été identifié des pistes pour faire encore mieux. On a là les cerises sur le gâteau, mais ce ne seront pas les actions prioritaires si l'on a par ailleurs identifié des actions qui doivent absolument être entreprises pour redresser une situation non conforme. Bien entendu, les normes commencent par cette troisième catégorie, mais nous savons que les normes sont d'un optimisme à toute épreuve ...
Il est surprenant de trouver des revues de direction dont les comptes-rendus ne statuent pas clairement sur ces 3 points. Et tout aussi surprenant de constater que les organismes de certification ne s'en formalisent pas. Car enfin une liste d'actions portant sur les audits des fournisseurs, ou la mise à jour des études AMDEC ne remplaçeront jamais une modification du système. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit : valider une organisation, un système !
Les revues de direction ne génèrent donc généralement pas ce qu'elles sont censées produire. Pourtant, dans la mesure où la revue de direction est un processus, elle doit apporter de la valeur à la direction. Et cette valeur réside nécéssairement dans les éléments de sortie.
Il est donc indispensable d'arrêter de passer des heures sur les écarts et non-conformités, pour se focaliser sur ce qui apporte de la valeur ajoutée.
En premier lieu, une revue de direction performante devrait être pilotée par la direction. Bien entendu, le responsable ou directuer qualité peut la préparer, mais aussi longtemps que la direction ne prendra pas la main sur l'exercice, aussi longtemps qu'elle acceptera de subir cette revue comme une obligation strictement procédurale, alors elle n'en retirera jamais plus que ce qu'elle en attendait, c'est à dire : rien.
Ensuite, la direction devrait s'intéresser à la pertinence et à l'efficacité de l'organisation en place. C'est la donnée de sortie la plus importante de toutes. Et pour cela il faut examiner les processus, leur efficacité, mais aussi les interfaces entre ces processus. Il n'y a que lorsque tous les pilotes sont réunis que l'on peut aborder ce sujet : la revue de direction est le bon moment !
Au passage, on valide aussi que les ressources (financières, humaines, techniques, méthodologiques, etc.) sont suffisantes. Si ce n'est pas le cas, il faudra soit diminuer les objectifs, soit trouver les ressources.
On devrait aussi se pencher sur le programme d'audit. Je ne parle pas du planning mais bien du programme. De quelles informations la direction a-t-elle besoin pour prendre les meilleures décisions ? Que va-t-on demander aux auditeurs internes au cours de l'année à venir ?
Bien entendu, il faut examiner les objectifs. Pas tant pour décider si on doit viser moins de 25 ou moins de 30 réclamations l'année prochaine, que pour valider que les objectifs fixés à chaque pilote de processus ne les incitent pas à entre en compétition les uns contre les autres. C'est malheureusement trop souvent le cas. Alors que chacun sait instinctivement que, pour atteindre un objectif stratégique nécéssairement commun, il faut col-la-bo-rer.
Elle est préparée avec soin. Chaque pilote a une mission : dire si, oui, ou non, ses ressources sont suffisantes et si l'organisation en place le satisfait pleinement. L'organisation, c'est-à-dire le découpage de l'autorité et le fonctionnement des interfaces. Pour cela, il regarde tous les indicateurs pertinents, il analyse comme il l'entend, mais surtout il n'a en tête que les ressources et l'organisation.
Le jour de la revue, chacun s'exprime d'abord sur l'organisation. Si jamais on constate qu'elle doit être modifiée, ce sera la tâche prioritaire. Et elle sera ardue. Grandeur et servitudes de la fonction de pilote de processus – membre du Comité de direction.
Si l'organisation plait à tout le monde — ce qu'il va falloir prouver, — alors on parle des ressources, en regardant dans quelle mesure les objectifs stratégiques sont atteints.
Enfin, si l'un ou l'une des pilotes a des idées pour améliorer quelque chose qui fonctionne déjà bien, on l'écoutera bien volontiers.
Et tous les graphiques, les indicateurs, les KPI qui prenaient tant de temps à créer ? On en fait quoi ? On ne les jette pas. Ils serviront, en cas de besoin à justifier pourquoi on condidère que tel pan du système doit être modifié. Les tableaux de bord reviennent ainsi à la place qu'ils n'ils n'auraient jamais dû quitter : ce sont des outils, des aides à la décision. Pas des photos prises dans le rétroviseur ("l'anné dernière, etc. etc.")que l'on brandit pour prouver que l'on a raison face à un collègue transformé (on se demande pourquoi) en adversaire qui doit avoir tort.