C'est la crise !
- Depuis 2008, c'est la crise ! Crise du crédit immobilier, crise des institutions financières, crise du secteur bancaire, crise boursière, crise économique, récession, faillite des états, chômage de masse, chômage de longue durée, chômage des jeunes, chômage des séniors, précarisation des emplois et des individus - quand ce n'est pas la crise des vocations et du recrutement, lorsque le chômage recule !... Les variantes dans la description ont en commun le fait d'être anxiogène, et de ne laisser qu'un mince espoir dans l'existence d'une solution efficace, rapide et durable !
- Enfin ... presque. De nombreuses voix se font entendre, chez les représentants des chefs d'entreprises, chez les journalistes spécialisés dans les affaires économiques, chez les politiques aussi (et surtout !) Ces voix chantent à l'unisson un hymne au "choc de compétitivité". Et ce choc ne pourrait semble-t-il passer que par une seule voie, celle de la diminution du cout du travail.
- Je dois avouer que cette présentation des choses m'est désagréable. J'ai donc décidé d'apporter un élément à la réflexion en cours.
- La crise "covid" n'a guère changé la donne. Le gouvernement a abondamment soutenu l'économie, en injectant de l'argent "quoi qu'il en coûte". Ces aides aux salariés et aux entreprises ont été considérés comme allant de soi. Aujourd'hui, on s'étonne de constater que les faillites reprennent leur niveau de 2019.
- Si, tout de même, on parle de réindustrialiser la France. De l'argent public (toujours) va soutenir les industriels qui rapatrieront leur production partie apprendre le mandarin, l'hindi ou le pakistanais. Personne ne posera la question de la responsabilité de la désindustrialisation, commencée dans les années 1970, par ceux-là même qui font aujourd'hui marche arrière.
Compétitivité choc... clarifions les définitions
- Je ne suis pas économiste, alors je suis allé chercher des définitions et des explications auprès de sources autorisées.
Ainsi, pour le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI) :
- la compétitivité est l'"Aptitude d'un individu ou d'un groupe à affronter la concurrence".
- et le choc est défini, au sens figuré, comme "Conflit plus ou moins violent", mais aussi, dans l'acception "soutenir le choc", comme "Faire face et résister à un événement imprévu"
Il est donc question de mettre en place un système permettant aux entreprises Françaises d'affronter (victorieusement) une concurrence imprévue. La notion d'imprévu est importante, j'y reviendrai. La notion de violence sous-jacente est porteuse elle aussi de sens...
- Mais à propos : où est le problème ? Que cherche-t-on à obtenir ? J'ai parcouru de nombreuses sources, et voici le résumé de ce que j'ai compris : pour être compétitif, l'opérateur peut :
- jouer sur la monnaie : commercialiser depuis un pays dont la monnaie est sous-évaluée;
- attirer les clients en diminuant le prix de son produit - à condition d'avoir diminué ses couts de production
- offrir plus pour le même prix (une innovation, un service, etc.)
La page Wikipedia
consacrée à la compétitivité économique est assez représentative de ce qu'on lit ici ou là.
- On veut donc que les entreprises puissent diminuer leurs prix de vente, afin de s'aligner sur le moins-disant du moment sur leur marché. Et pour cela, il faut d'abord augmenter les marges.
Gagner en compétitivité passe par l'augmentation des marges...
Ce qui me fait réagir
- 1ère chose : Les entreprises ne sont pas toutes dans le besoin; certaines d'entre elles pourraient diminuer leurs prix en puisant dans les profits qu'elles réalisent. Le graphique ci-dessous reprend les profits nets (en milliards d'€) réalisés depuis 20 ans par les entreprises du CAC 40, c'est à dire les 40 entreprises cotées à Paris dont la "capitalisation boursière" est la plus élevée.

Faire des calculs basés sur les seules entreprises du CAC 40 présente un gros inconvénient : on ne peut pas en tirer des conclusions définitives sur le reste de l'économie. En particulier :
- il ne s'agit que de 40 entreprises cotées ;
- ces entreprises ne sont pas toujours les mêmes, et leurs activités évoluent (par le rachat et la cession de filiales) ;
- leur profit n'est pas réalisé uniquement en France ;
- seuls les profits déclarés en France sont pris en compte (et il semble que certaines entreprises aient des filiales situées dans ce qu'on appelle des paradis fiscaux - ce qui pourrait diminuer leur résultat imposable apparent) ;
- le profit déclaré est le résultat d'opérations comptables, et on sait le faire évoluer dans un sens ou dans un autre, par exemple en jouant sur la valeur du stock, ou des actifs de l'entreprise - c'est donc autant le reflet d'une décision politique que le résultat d'un calcul arithmétique.
Ceci posé, les valeurs dont on parle ici sont colossales. Sur les 10 dernières années connues, une moyenne de 85,1 milliards d'euros chaque année. Soit plus de 10 fois le déficit du régime général de la Sécurité Sociale (8,2 Mds € prévus pour 2023), ou une fois et demie le déficit du budget de l'état Français (54,7 Mds € en 2023). Ces 85,1 Mds annuels représentent plus de 1 900 € de profit générés chaque seconde - ou 233 Millions d'€ chaque jour !
- 2ème chose : la France est un pays dont la compétitivité est plutôt bonne. Des organismes se sont fait une spécialité d'estimer ce niveau de compétitivité national. En particulier :
- L'International Institute for Management Development, ou IMD est une école de management installée à Lausanne en Suisse. Créée à l'initiative de deux sociétés industrielles (Alcan et Nestlé), c'est l'une des plus réputée au Monde.
À l'intérieur de l'IMD, on trouve l'IMD World Competitiveness Center, ou WCC, qui publie chaque année depuis 1989 un indice de compétitivité des pays. Dans la version 2022 de ce classement, la France se situe au 28ème rang sur 63 pays listés, soit exactement en milieu de classement. En tête on retrouve le Danemark, la Suisse et Singapour en queue le Venezuela, l'Argentine, la Mongolie. L'Allemagne figure en 15ème place, suivie par l'Islande ; la Chine est 17ème.
Mais des économies réputées plus compétitives que la nôtre sont moins bien classées que la France. Ainsi la Roumanie est 51ème, la Pologne 50ème; l'Indonésie 44ème, la Turquie 52ème, l'Inde 37ème. Comment est-ce possible ? Parce que la compétitivité d'un État ne se limite pas à la faiblesse des salaires ouvriers ! Ce qui fait qu'un pays est compétitif, c'est aussi la qualité des formations dispensées à l'Université, ses infrastructures routières, son réseau de distribution d'énergie, la diffusion de l'Internet haut débit, etc. À quoi bon s'installer dans un pays dont les salaires sont faibles, si la liaison informatique avec la maison-mère ne fonctionne pas, si les transports routiers sont cauchemardesques, si un salarié malade n'est pas rapidement et efficacement soigné, si personne ne sait se servir des systèmes informatisés, si les coupures électriques paralysent la production plusieurs fois par mois ?
- Autre organisation helvétique, le Forum Économique Mondial (ou World Economic Forum en anglais), connu pour organiser chaque année une réunion à Davos. Ce forum publie régulièrement un rapport sur la compétitivité. La version 2019 de ce rapport fait apparaître la France à la 15ème position, après le Canada, et avant l'Australie, ou le Luxembourg (18ème), la Chine (28ème), l'Inde (68ème) ou le Maroc (75ème). Par-rapport à l'année 2018, la France remonte d'une position – avec une note de 78,8 / 100 : je connais de nombreux scolaires (et de nombreux parents) qu'une note aussi convenable satisferait pleinement ! Ici encore, les éléments pris en considération pour effectuer le classement vont au-delà du salaire et des impôts.
Il faut savoir en effet que le classement n'est pas uniquement fait à partir de données chiffrées et objectives, mais qu'il intègre au contraire des éléments qualitatifs très. Comme par exemple l'indépendance de la justice, la liberté de la presse ou le "fardeau législatif" : il n'est pas facile de trouver un indicateur objectif pour mesurer cela. Et pour le crime organisé (!), la France a une note de 3,8/7 - 7 étant la meiilleure note. Plus surprenant, pour le critère "incidence du terrorisme" la France obtient la note de 92,5 / 100, quand 100 signifie "aucun impact".
- 3ème chose : la France reste malgré tout un pays attractif pour les entreprises étrangères. Selon un document du Ministère de l'Économie Français, qui cite les données de la CNUCED, la France est en 2021 le 1er pays d'accueil pour les investissements internationaux en Europe. 17,7 % des projets d'investissements étrangers vont en France, devant le Royaume-Uni (17,5 %) et l'Allemagne (16,7 %). Et ce pourcentage monte à 30 % pour les investissements dans le domaine de la santé.
16 000 filiales étrangères sont implantées en France, plusieurs centaines s'installent chaque année. Elles emploient 2,2 millions de personnes ! Alors, il doit bien y avoir des raisons d'échapper à la morosité ?
- 4ème chose : Toutes les entreprises n'ont pas le même sensibilité à la question du cout du salaire : les "manufactures" d'antan, pour lesquelles les salaires représentaient jusqu'à 40 ou 50 % de la valeur ajoutée ont aujourd'hui fait place à des entreprises pour lesquelles cette proportion est bien inférieure. Le 23 février 2013, Clara Gaymard, "Chief Executive Officer" (CEO - l'équivalent de nos P-DG) de General Electric en France, a déclaré sur France-Inter, dans l'émission "on n'arrête pas l'éco" que pour son entreprise, qui intervient dans un secteur de haute technicité, la main d'œuvre ne représentait que 5 à 10 % de la valeur ajoutée. À ce niveau, il est évident qu'une diminution des cotisations salariales ne constitue pas un "choc" et n'apporterait qu'un contribution minime à la compétitivité globale de l'entreprise. (Une semaine plus tard, on apprenait que General Electric allait néanmoins supprimer 200 postes d'ingénieurs et cadres dans son activité de turbines à gaz...)
Aujourd'hui, les secteurs dans lesquels les salaires représentent l'essentiel du cout global sont déjà ceux qui font à leurs salariés les conditions les plus dures : nettoyage de bureaux par exemple, ou encore le secteur de la production de fruits.
- 5ème chose : Parler, à propos des cotisations d'assurance maladie, vieillesse ou chômage, d'impôt, ou de charges relève d'un glissement sémantique dangereux si l'on souhaite conserver un niveau élevé de protection des salariés - je reconnais que tout le monde ne le souhaite pas. Glissement parce que de "cotisation" et sa connotation "volontaire", "bien commun", on passe à une charge, un fardeau dont il est légitime de souhaiter s'affranchir. Glissement aussi parce que les régimes de prévoyance sont gérés par les partenaires sociaux, représentants des organisations patronales et des syndicats de salariés. La gestion des réserves ne se fait d'ailleurs pas nécessairement de manière optimale, et le Fonds de Réserve pour les Retraites a perdu beaucoup de sa valeur en 2008, et le rendement moyen de ses placements entre 2004 et 2011 se monte à 1% après inflation.
(Au passage : en demandant une imposition plus faible pour les entreprises, celles-ci contribuent à réduire les moyens de l'État, qui éprouvera donc des difficultés à maintenir par exemple le haut niveau de compétence des salariés Français, ou une bonne couverture sanitaire, rendant du même coup le territoire moins compétitif...)
- Pour finir, je reconnais que, si les couts salariaux venaient à diminuer, cela pourrait permettre aux entreprises de diminuer leurs prix de vente, sans pour autant diminuer leurs marges. Mais j'affirme que d'autres leviers sont disponibles, plus puissants et plus durables.
Une solution : un management de (la) Qualité
- Première urgence : mettre en œuvre de véritables systèmes de management, tournés vers l'atteinte du but, et pas vers des succès rapides mais à court terme, fussent-ils financiers. Cela passe par un changement profond de mentalité de la part des chefs d'entreprises. J'écris cela avec le plus grand respect pour les capacités managériales de ces derniers, mais cela fait trop longtemps que je rencontre des dirigeants qui n'ont pas compris que le "management de la qualité" signifiait. Ou alors, qui ne sont pas passés au concept de qualité du management.
Dans les années 1900, lorsque les principes de l'Organisation Scientifique du Travail, développés par Frederick Taylor, ont été mis en place, on a dû inventer deux nouvelles fonctions dans les entreprises : le bureau des méthodes et surtout le contrôle qualité. En effet, parcelliser le travail présente l'avantage de permettre l'emploi de travailleurs peu qualifiés, mais cette médaille a un revers : ces travailleurs ne sont pas capables de juger de la conformité de leur travail. S'ensuivent des travaux sur la meilleure façon de contrôler, sur les plans de prélèvement, etc.
Mais cette époque du contrôle a posteriori a vécu ! On sait aujourd'hui que les principes de la qualité s'appliquent au-delà des produits industriels - les services aussi sont concernés. On sait également qu'aux niveaux de conformité exigés par l'automobile ou l'aéronautique (quelques dizaines de ppm au maximum), les plans de prélèvement ne sont plus efficaces.
Pourtant, on constate quotidiennement que de nombreux managers cantonnent la qualité à la production; que les revues de direction ou les audits internes sont menés de manière administrative, avec une implication minimale de la direction. C'est tellement vrai que j'ai rencontré récemment le responsable d'un Mastère II d'une école de commerce "Nous sommmes là pour casser les paradigmes, et inventer de nouvelles manières de manager" me disait-il. Pourtant, quand je lui ai proposé d'intervenir pour enseigner les fondamentaux de la qualité, il m'a répondu : "Ah, mais pour cela, il faudrait que j'aie un module de gestion de production, ou quelque chose comme ça, et je n'en ai pas." On a raison de dire que les paradigmes nous retiennent prisonniers...
- Un bon outil pour commencer est le suivi du COQ, ou "Coût d'Obtention de la Qualité" (Cost Of Quality en anglais). Les poubelles coutent cher ! Et je ne parle pas uniquement des rebuts de production, ou des matières premières obsolètes qu'on laisse traîner dans les entrepôts - et par la même occasion dans les livres de comptes. Je parle aussi des projets retardés , ou dont le budget a explosé; des formations organisées sur l'ancienne version du logiciel, deux semaines tout juste avant le basculement sur la nouvelle version, l'abonnement de maintenance sur le photocopieur qui sera remplaçé 3 mois après, l'achat avec ristourne d'une quantité trop importante d'une matière périssable ... Faut-il que je continue ?
Les études donnant des chiffres pour le COQ sont très rares. La valeur que l'on retrouve le plus souvent est " entre 15 et 30 % du CA. ". Cela semble élevé, mais quand je vois en usine des indicateurs qui culminent à 0,23 % du CA, ou même à 0.058%, je sais que là, la sous-estimation est massive. Même si la valeur moyenne n'était que de 10% du CA, et en se fixant un objectif de réduction de seulement 20%, on a sous la main 2% de marge. En ce moment, cela suffit à faire passer un compte de résultat du rouge au vert ...
- Autre réflexe à acquérir : savoir prendre des décisions. Pour cela, il est indispensable de fournir des objectifs partagés, clairs, communiqués d'une part, et d'autre part, des méthodes d'analyse et des processus de décisionnels. Cela peut sembler ridicule, voire insultant de ma part, mais on constate que, dans une immense majorité des cas, les choix managériaux sont faits de manière à servir les optimums locaux, ceux qui vont avantager immédiatement le manager. Or, on sait que l'optimum global, celui qui devrait être systématiquement recherché, n'est jamais égal à la somme des optimums locaux. Ces errements sont toujours préjudiciables à l'entreprise.
- On peut aussi se mettre à utiliser les outils de la qualité : méthodologie de résolution de problèmes,utiliser l'analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité (AMDEC), écrire les cahiers des charges fonctionnels avant de commencer le développement, etc.
- Il faut aussi apprendre à résoudre les problèmes, qui pullulent dans les entreprises, et que l'on ignore, voire que l'on nie–le plus souvent parce que les managers sont incapables de les aborder sereinement. Taïchi OHNO, créateur du Toyota Production System disait : "Ne demandez pas à vos salariés de vous apporter des solutions, demandez-leur de vous apporter des problèmes."
- Au-delà de la Norme ISO 9001, il existe des modèles d'excellence pour les entreprises :
Je parle plus en détail de ces référentiels dans un autre dossier, mais je veux ici rappeler que ces modèles – et tout particulièrement le MBNQA – permettent aux entreprises qui les adoptent de gagner de l'argent, et de manière très significative.
Les pouvoirs publics pourraient s'inspirer de l'approche américaine, en faisant la publicité pour ces modéles d'excellence (l'EFQM, probablement), en donnant des moyens à une structure qui diffuserait cette "bonne parole" et qui redonnerait de la compétitivité aux entreprises françaises.
- De manière accessoire, l'appropriation de véritables réflexes "qualité" par les dirigeants d'entreprise leur rappelerait trois choses fondamentales :
- que, selon le mot d'Emile de Girardin (1806–1881, journaliste français), "gouverner, c'est prévoir";
- que l'étape "Plan" du PDCA ne dit pas autre chose;
- que l'outil de base en matière de management devrait toujours être l'analyse de risques.
Ainsi, jamais ne devrait–on entendre des dirigeants se plaindre du caractère imprévu, voire imprévisible, de la tournure que prennent les évènements. Leur responsabilité essentielle réside dans leur capacité à prévoir, à planifier, à préparer, organiser...
Une (autre) solution : un management de la santé et de la sécurité au travail
- L'absentéisme coute cher aux entreprises. Les salariés sont absents pour de multiples raisons, mais c'est le plus souvent pour des raisons de santé. Et c'est aussi un cercle vicieux pour l'entreprise. Les absences de l'un ou l'autre désorganisent le travail des collègues, qui n'en avaient pas besoin. Leur humeur en est affectée, ils auront ensuite plus tendance à être eux–mêmes victimes d'autres arrêts de travail, et ainsi de suite. L'absentéisme est tout à la fois un effet et une cause de la mauvaise ambiance dans l'entreprise.
Le cout associé est considérable. Un article de Économie et Statistique de 2007 annonce 200 millions de journées de travail perdues en France. 200 millions de journées ce n'est rien moins que l'équivalent de 975 000 personnes à plein temps, toute une année. Peut-on, sans réagir, accepter cette situation ? Ne devait-on pas au moins en parler, faire connaître ce chiffre, susciter une réaction ? Car 975 000 personnes, c'est 4% des 24 millions de salariés français. Autant que cela ? Y aurait-il une réserve de compétitivité ? (D'accord, tous les salariés ne sont pas à plein temps, et mon ratio est biaisé. Mais vous voyez que la réserve est, quoi qu'il en soit, conséquente.) Une analyse du cabinet Price Waterhouse Cooper (elle n'est plus disponible en ligne, mais elle est abondamment citée) estime à 32 milliards de Livres (37 milliards d'€) le cout annuel de l'absentéisme en Grande-Bretagne... 37 Md€ par an, c'est trois fois et demi le montant de ce q'on va faire économiser à la Sécurité Sociale au cours des trois prochaines années. Un sondage du Cabinet Gallup estime à 153 milliards de dollars (à peu près la même chose en euros) le cout de l'absentéisme des travailleurs américains en mauvaise santé (2011, sur 109 875 employés à plein temps).
- Les maladies professionnelles coutent cher à l'entreprise. Elles coutent cher aussi à la Sécurité Sociale. L'Assurance Maladie recense plus de 10 750 000 journées de travail perdues en 2011 pour cause de maladie professionnelle ! Comme il y avait un peu plus de 23,8 millions de salariés cette anné-là, on arrive à une moyenne de 0,45 jour d'arrêt pour maladie professionnelle par an et par salarié. Responsables RH de grosses PME (200 salariés), sortez vos calculettes : on atteint 90 journées dans l'année ! Et les choses ne devraient pas s'arranger, si l'on se fie à la tendance constatée au cours des dix dernières années. Les chiffres ont en effet été multipliés par plus de 2,2 – et la courbe ne semble pas amorcer de ralentissement...

Encore une fois, le cout direct tel qu'enregistré par l'Assurance Maladie ne suffit pas – loin de là – à rendre compte de ce que les maladies professionnelles coutent aux entreprises.
- les accidents du travail coutent cher aux entreprises. Un document de la Sécurité Sociale chiffre à 621 000 accidents du travail en 2014 en France, contre 1 001 000 en 2011.
La réglementation définit les coûts moyens des accidents du travail, secteur d'activité par secteur d'activité. Les valeurs de 2019 s'échelonnent de 131 € pour un accident sans arrêt de travail dans le secteur des services à plus de 619 000 € pour un accident entraînant une incapacité permanente de plus de 40% dans la chimie ou la métallurgie. Lorsque l'arrêt de travail dépasse 45 jours, son cout n'est jamais inférieur à 3 600 €.
Ici encore, au–delà du cout direct, il faut aussi prendre en compte l'impact sur la désorganisation de l'activité, la souffrance et le mal–être du travailleur accidenté mais aussi celle de ses collègues, le retard pris dans le travail au moment de l'accident, la perte de productivité consécutive à toutes les discussions, les réunions, les études consécutives à l'accident.
Au total, le cout global des accidents du travail se chiffre en milliards d'euros. Pour la seule branche accidents de la Sécurité Sociale, c'est 3,5 Milliards d'€ en 2009. Quant au budget global, il est colossal :

Le financement de cette branche Accidents du Travail est pour l'essentiel "individualisé", c'est à dire que les entreprises, dès lorsqu'elles dépassent 150 salariés (depuis la réforme de 2012), cotisent en fonction de leur situation réelle. Le taux est commun pour les PME jusqu'à 19 salariés. Entre 20 et 149 salariés, le taux est mixte (une péréquation entre le taux individualisé et le taux commun). Pour une majorité d'entreprises donc, ce taux reflète les résultats des entreprises en matière de sécurité au travail. Ils augmentent si il y a des accidents dans l'entreprise, mais également si l'employeur ne réagit pas lorsqu'il reçoit une injonction de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie. Ce "malus" incite les entreprises à mettre en place rapidement des solutions efficaces. À l'inverse, des "bonus" sont versés aux entreprises désireuses de mettre en place des actions de prévention. (Ce document de la CNAM présente les choses de manière simple et claire.)
Ainsi, le système mis en place permet de diminuer le cout des accidents du travail, de deux manières : d'abord en diminuant les cotisations, assises, rappelons–le sur la masse salariale, ensuite en diminuant les couts induits. Or, une diminution des couts permet d'atteindre l'objectif d'une compétitivité accrûe...
Encore une autre solution : un management de l'environnement
- Depuis la fin des années 1970, on entend parler de "l'Écologie". Mais cette notion recouvre de nombreuses facettes, de l'activiste du Larzac ou de Plogoff au Ministère du Développement Durable, en passant par l'agriculteur Bio, le fabricant d'éoliennes, la voiture électrique ou même la filière du commerce équitable. Le citoyen peut avoir du mal à trouver ses repères – et le chef d'entreprise aussi. Pour ne rien arranger, les concepts du Développement Durable, qui y sont apparentés, sont compris en France d'une manière plutôt restrictive, dans la mesure où l'on a choisi d'oublier deux des 3 piliers : le social et l'économique pour ne conserver que la dimension environnementale.
Il en ressort une impression de flou, voire de " gadget ". Et de trop nombreux chefs d'entreprise imaginent que le management environnemental leur coutera de l'argent sans rien leur apporter. Et pourtant !
- Ils pourraient valoriser leurs déchets, c'est à dire les revendre plutôt que de payer pour s'en débarasser. Cela commence par le tri, car personne ne rachète des déchets mélangés. Ensuite, on recherche des prestataires qui reprendront et retraiteront les déchets triés. Ne pas hésiter à mettre les prestataires en concurrence. Certains vous feront des offres plus intéressantes que d'autres, viendront récupérer les conteneures plus fréquemment, ou au contraire moins souvent; certains vous fourniront les conteneurs quand d'autres vous imposeront de les acheter, etc. Pensez aussi que c'est typiquement une démarche que l'on peut initier avec d'autres entreprises voisines.
- Tout naturellement viendront ensuite les actions visant à réduire le volume de ces déchets. En effet, même si l'on peut les valoriser, il est encore plus intéressant de ne pas en faire – car au final, vous commencez toujours par les acheter !
- Ils pourraient aussi, c'est trivial et connu, faire des économies d'énergie : isolation des bâtiments, opter pour des éclairages à basse consommation, mettre en place des solutions de réutilisation des calories perdues dans les process industriels, prendre l'habitude d'éteindre les lumières en quittant les bureaux, de ne pas régler la climatisation à 17°C en été (alors que le chauffage est réglé à 23°C en hiver), etc.
- Ils pourraient penser à réduire leurs consommations d'eau (même si l'eau ne coute pas très cher en France, la probabilité pour que son prix diminue encore dans les prochaines décennies est à peu près nulle). L'industrie alimentaire est ici en première ligne, et spécialement la production de boissons. Mais sait–on par exemple qu'il faut entre 4,3 et 6,9 litres d'eau pour produire un litre de bière ? Et on ne parle ici que de l'eau consommée dans la brasserie. Si on ajoute l'irrigation des cultures, le total atteint des valeurs faramineuses : 61 à 180 litres ! C'est ce qui ressort d'une étude menée par le WWF et SAB Miller, le géant américain de la bière. D'autres industries ont également pris la mauvaise habitude de gaspiller l'eau.
- Puisque nous parlons de l'eau, rappelons qu'il est bon de réfléchir à limiter sa pollution. Il ne s'agit pas uniquement des procédures administratives liées à la convention de rejet, mais au traitement et à la surveillance de la qualité des eaux de rejet. Un simple bac à graisse de 1 000 litres coutera 1 500 € mais sa vidange, chaque trimestre, alourdira la facture de 500 ou 600 € (soit 2 000 à 2 400 € annuels). Le matériel destiné à contrôler pH, TH, DCO, matières en suspension, peut facilement atteindre 5000 €, auxquels s'ajoutent au moins 500 € de réactifs et consommables par an. Au total, des dépenses inutiles...
- Enfin, ils pourraient travailler avec moins de produits chimiques : moins on en a, plus leur gestion est aisée et moins les couts sont élevés.
Pour conclure sur la compétitivité économique
- Ce qu'on appelle le "management QSE" (ou QHSE) est réellement un moyen efficace pour gagner en compétitivité. Il est absolument réducteur de présenter les diminutions de couts salariaux comme l'unique option disponible pour permettre aux entreprises de se refaire une santé financière durable. Si les entreprises en sont là, leur avenir est écrit : elles ne survivront pas.
- J'appelle de mes vœux une prise de conscience des employeurs et des pouvoirs publics pour promouvoir ces outils de saine gestion, qui seuls seront les garants d'une consolidation durable des performances de nos entreprises.
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