Depuis la publication des normes ISO 9001 - 9002 - 9003 en 1987, on parle de "management de la qualité". Cette expression simple porte en elle un vice caché qui rend difficile (et parfois même quasiment impossible) la tâche des responsable qualité.
En effet, le simple fait de parler de "management de la qualité" implique qu'il s'agit là d'un management subalterne. On ne parle pas de management tout court, mais de management d'une petite partie du système : la qualité. D'ailleurs, au début, personne ne sait au juste de quoi il s'agit vraiment. Le management (le "vrai" management, celui qui est enseigné dans les écoles de commerce – devenues écoles de management), c'est la finance, le commercial, le marketing, la supply chain. Le management de la qualité ça doit être le contrôle final, les réclamations clients, les actions correctives quand il y a des problèmes ...
Ce qui est certain, c'est que si l'on veut faire comme les concurrents – être certifiés, il faut un "responsable qualité" (ou RQ, ou RAQ, quand on ajoute "assurance" à "qualité") qui va s'occuper de ce fameux "management de la qualité".
Comme il s'agit d'un management subalterne :
il est légitime pour la direction ne ne pas s'intéresser à cette activité ;
il est logique de le confier à quelqu'un de subalterne, qui n'aura donc pas l'autorité pour faire bouger les choses.
On a donc mis en place les ingrédients qui vont bloquer la situation. La direction n'attend pas grand chose de "la qualité"; ce qui renforce la légitimité de son détachement. Le (ou la) responsable qualité comprend rapidement que la direction n'attend rien de son action, et commence à travailler pour lui-même (pour elle-même) : il faut bien s'occuper. Depuis son bureau, derrière un ordinateur : c'est un environnement confortable, dans lequel il ou elle reste protégé. Le reste de l'entreprise intègre rapidement ce mode de fonctionnement.
La mode de la certification va fixer un seul objectif au RQ : obtenir et conserver le certificat. Il (elle) va donc petit à petit devenir le scribe qui écrit des procédures, qui fait des statistiques sur les non-conformités et les réclamations clients, qui édite des "tableaux de bord" en couleur qui n'intéressent pas grand-monde, qui organise les audits internes, qui relance les uns et les autres quand il faut faire le point sur les "actions correctives".
Quels sont les conséquences de cette organisation ?
La première est un décalage très important entre la vision que peuvent avoir les activités liées à l'opérationnel (production, logistique, approvisionnements, SAV...) et celle des activités de support (comptabilité, ressources humaines, système d'information) ou des services marketing ou commerciaux. Les premiers se sont habitués à voir les équipes de qualiticiens, à échanger avec eux, à travailler, même, avec eux. Les autres limitent leurs interactions au minimum.
L'activité "qualité" va donc être, pour l'essentiel, assimilée à une activité intrinsèquement liée à la production. Les seuls liens seront liés à la certification : l'écriture de procédures, les audits internes. Peut-être un peu de suivi des actions correctives, ou l'organisation de modules de formation à destination, le plus souvent, de l'encadrement intermédiaire.
Or, les fonctions du deuxième type (comptabilité, RH, commerciaux, SI...) sont géographiquement et culturellement proches de la direction générale (après tout, les écoles de management ne sont que la nouvelle désignation des anciennes écoles de commerce). Donc, tout est fait pour que la direction générale n'ait que rarement affaire à des interlocuteurs qui pourraient lui montrer que les principes du management de la qualité peuvent présenter une utilité réelle, et apporter de la valeur au système.
Un exemple parmi beaucoup d'autres ? La notion de processus, directement tirée d'un des 7 principes du management de la qualité, devrait amener la direction à comprendre son entreprise comme un système, c'est-à-dire un ensemble d'activités en interaction dynamique, organisé en fonction d'un but. Les diverses composantes de l'entreprise devraient donc toujours collaborer pour atteindre le but commun, quand on voit trop souvent des "business units", chacune dotée de son propre compte d'exploitation, entrer en compétition, ce qui est au final très préjudiciable à la compétitivité de l'ensemble.
En définitive, sans capacité à faire bouger les choses, les résultats du "responsable" qualité seront au mieux des trompe-l'œil, destinés à faire illusion devant les clients, les auditeurs, et les nouveaux embauchés.
Tous les "grands" de la qualité (Kaoru Ishikawa, W. Edwards Deming, Philip Crosby, Joseph Juran...) ont insisté sur l'importance du leadership, c'est à dire sur l'importance d'avoir, à la tête de l'entreprise, une personne capable de fédérer les énergies, de rassembler les collaborateurs pour les amener à l'objectif. Ce leader, pour réussir, doit donner à ses employés les moyens matéreils, financiers, organisationnels. Il doit leur faire confiance, les former, être clair dans ses propos, avoir de l'éthique, les aider à résoudre les problèmes qui pullulent dans l'entreprise ... Bref, il doit être un bon "manager".
Entendons-nous bien : je n'attends pas d'un directeur général qu'il maîtrise l'AMDEC processus, ou la méthode 6 sigma, ou qu'il sache définir un plan de prélèvement (même si cela ne pourrait pas lui nuire), mais qu'il sache que cela existe, et qu'il fasse confiance à celles et ceux qu'il a embauchés pour s'en occuper.
Les modèles d'excellence font la part belle à cette dimension de leadership (qu'il ne faut surtout pas confondre avec des aptitudes à la manipulation). On y trouve même des outils pour mesurer ces capacités managériales. Or, il se trouve que les entreprises engagées dans ces démarches d'excellence ont des résultats en termes de performance économiques bien supérieurs à celles de leurs concurrents (lesquels ne sont pas engagés dans ces démarches). Leur compétitivité - que tous les dirigeants appellent de leurs vœux - est assurée
En théorie, pour traduire ce leadership, la direction élabore la politique qualité, cet élément fondamental de la démarche qualité dans lequel les objectifs de l'entreprise sont annoncés, les étapes du chemin pour les atteindre sont identifiées, les moyens sont définis, etc. En pratique, malheureusement, on constate trop souvent que les directions se désintéressent de la question, et ne voient dans cette politique qualité qu'une exigence vide de sens. Alors cette politique est recopiée sur Internet, ne comprend que de vagues slogans ... Ce qui contribue à l'échec de la démarche.
Bien entendu, l'implication des ressources humaines est indispensablepour que le systè:me fonctionne de manière efficace. Encore faut-il que la direction (encore elle) voit dans cette fonction plus que la gestion de la paye et des contrats de travail.
La qualité du management est donc un levier pour augmenter la compétitivité des entreprises. Et j'aimerais que ce concept remplace celui de "management de la qualité". Non seulement cela effacerait l'image trop bureaucratique et négative, mais encore cela affirmerait l'importance fondamentale de la direction dans le succès de la démarche qualité.
Le livre "La qualité du Management, levier de la compétitivité" est disponible depuis le mois de septembre 2018, aux éditions Afnor.
J'y explique ma vision de ce concept, et j'y présente les quelques comportements que devraient adopter les chefs d'entreprise pour regagner des points de compétitivité, sans en passer par les éternelles recettes faisant appel à l'État (baisse des cotisations sur les bas salaires, diminution des impôts), mais en ayant un regard neuf sur l'organisation des entreprises.
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